J'ai eu la chance de voir Noureev danser. Je n'avais que huit ans mais je n'ai jamais oublié ce moment. Ce film en a ravivé le souvenir, notamment grâce au jeu d'Oleg Ivenko, véritablement habité par son personnage, et qui m'a semblé restituer par son jeu l'intensité, la présence que dégageait son modèle sur scène. Le film se concentre sur les jeunes années de Noureev, de son enfance dans une ville perdue de l'Oural à sa spectaculaire demande d'asile à l'aéroport du Bourget. Certains critiques ont estimé que les scènes revenant sur l'enfance étaient inutiles, voire nuisaient au rythme du film. Elle me semble au contraire faire mieux comprendre le caractère solitaire et ombrageux du personnage, en montrant quelle vie difficile il avait eu, sans tomber dans le misérabilisme. Ces scènes sont assez poétiques et insistent sur le souvenir de la mère, et non sur certains aspects plus sordides que les biographies du danseur ont fait connaître, comme les moqueries de ses camarades de classe parce que la pauvreté l'obligeait à porter un manteau ayant appartenu à sa sœur aînée, ou sa difficile relation avec son père, personnage fruste et bourré de préjugés opposé à la carrière de "ballerine" de son fils.
De même, le jeu d'Adèle Exarchopoulos dans le rôle de Clara Saint a été jugé inexpressif par certains. C'est un peu vrai, mais n'est-ce pas plutôt un contraste voulu entre la grande bourgeoisie, au style et aux manières impeccables mais qui ne sait pas quoi faire de sa vie, selon ses propres mots, et l'artiste vibrant, passionné, tendu vers son but, qui la fascine ? Cette fascination semble d'ailleurs gagner plus ou moins tous ceux qui approchent le danseur, de son professeur (joué par Ralf Fiennes) à l'agent du KGB chargé de le surveiller ! Des personnages secondaires plus marquants auraient peut-être nui à la concentration exclusive du regard sur "Rudi". Regard généralement sympathique, montrant la puissante sensibilité artistique, la curiosité insatiable du personnage, son charme, mais aussi son arrogance et son mauvais caractère qui font surtout sourire, en particulier quand les autorités répressives auxquelles le jeune homme fait face en font les frais. Il devient même parfois touchant, quand on assiste à son désespoir à l'idée d'être renvoyé dans sa ville natale (ce qui mettrait fin à ses espoirs de carrière), ou à sa panique face à ce qui le menace à l'aéroport du Bourget. Les scènes reconstituant l'épisode fameux de sa demande d'asile sont d'ailleurs parmi les plus réussies du film. On a beau savoir que tout va bien finir, on s'accroche à son fauteuil !
Bref, c'est pour moi un excellent film qui est à voir, ne serait-ce que pour son interprète principal, Oleg Ivenko, qui aura l'occasion, j'espère, de continuer sa carrière cinématographique pour prêter son intensité à d'autres personnages.