Seuls Two
Mauvais timing pour Jenai et Riley ! Alors que ce couple de touristes américains passent un séjour idyllique en Islande, c'est pile poil au même moment qu'une drôle d'apocalypse fait disparaître toute la population mondiale en l'espace d'une nuit. Enfin toute... sauf eux ! Les deux jeunes amoureux vont devoir apprendre à vivre, seuls, perdus dans un pays dépeuplé qui n'est pas le leur...
"Bokeh" est un terme qui désigne un flou, une imperfection parfois voulue à l'arrière-plan d'une photo, une chose insignifiante si la démarche est simplement de capturer un moment de vie comme l'explique Riley en début de film à travers sa passion pour la photographie. Seulement, le film de Geoffrey Orthwein et Andrew Sullivan va nous démontrer le contraire en captant les instants de (sur)vie de ce couple face à une situation pour le moins extraordinaire. Un "bokeh" est présent dès le départ entre Riley et Jenai sur la façon qu'ils ont appréhendé leur condition. S'il n'est qu'un détail dans ses prémisses, sa présence va précipiter le couple vers une scission inévitable.
Riley s'adaptera à la situation, parfois avec légèreté mais toujours en envisageant un avenir, en construisant, en posant des fondations à un potentiel futur à deux. Jenai, elle, restera tournée vers le passé, rongée par un manque de repères de sa vie antérieure aux événements du film, cherchant inlassablement une explication (religieuse ou autre) sur ce phénomène absurde ou les traces d'une autre présence que la leur. Riley aura beau tenter par tous les moyens de raviver une lueur d'espoir chez sa compagne, les ténèbres des tourments intérieurs de cette dernière gagneront, lentement, inéxorablement, jusqu'à entraîner une forme de rupture irréconciliable et finalement déjà consommée depuis longtemps malgré un maintien des apparences...
"Bokeh" traite donc d'une vision pessimiste et infiniment triste du couple où une simple plaie non refermée peut gangrainer l'ensemble d'une relation de manière irrévocable. Pour se faire, le duo de réalisateurs a choisi une approche purement contemplative en nous livrant un enchaînement d'instants de vie de ce couple confronté à l'inexplicable. L'expérience -car c'en est une- est souvent d'une beauté sidérante à travers l'étrangeté des paysages islandais vidés de présences humaines dont il émane une indéniable poésie, mais aussi parfois d'une lenteur rebutante tant le long-métrage se complaît à chercher l'indicible dans des séquences qui, prises une à une, apparaissent anecdotiques. C'est sur la globalité de son propos que le film passionne mais, dès lors que l'on en comprend sa finalité (et ça arrive assez vite), il n'y aura plus vraiment de surprises à en attendre si ce n'est de découvrir l'ampleur des retranchements antagonistes dans lequels seront poussés les deux personnages...
"Bokeh" est bel et bien un OFNI dans le paysage cinématographique actuel, sans doute bien trop contemplatif sur la forme pour emporter une totale adhésion mais le propos désespéré qu'il couvre dans son ensemble reste incontestablement fascinant et ce, en plus de cette incontournable et passionnante question sous-jacente "Et nous, que ferions-nous ?".
À défaut de pleinement convaincre, "Bokeh" est une expérience à découvrir.