Au milieu du film, un, écrivain, amant de passage d’Adriana Astarelli, le personnage principal du film (interprétée par Stefania Sandrelli, excellente du haut de ses 18 printemps) en fait le description acérée suivante : « une fille belle et excitante » qui l’a peut-être aimé, mais « le problème est qu’elle aime tout. Elle est toujours heureuse. Elle ne désire rien, n’envie personne, aucune curiosité. Tu ne peux pas la surprendre, elle ne se soucie pas de l’humiliation, même si beaucoup de mauvaises choses peuvent lui arriver tous les jours. Tout disparaît sans laisser de trace, comme si elle était une sorte de tissu imperméable à l’eau. Zéro ambition, ni morale. Elle n’est même pas une putain qui aime l’argent. Hier et demain n’existe pas pour elle, même vivre pour aujourd’hui serait la pousser à des plans compliqués. Alors, elle vit minute après minute. Baignade au soleil, écouter des disques et danse sont ses seules activités. Enfin, elle est d’humeur variable, inconstante, toujours dans le besoin, ayant des aventures courtes et nombreuses, peu importe avec qui, mais surtout pas avec elle même. ».
Si le portrait ainsi fait de cette postulante au vedettariat dans l’Italie des années 60 apparaît pertinent, la deuxième partie du film, par petites touches, va, pourtant, nous révéler qu’il est inexact. L’accumulation de petits échecs, de relations superficielles et sans lendemain va peu à peu percer la carapace du personnage et l’abîmer. La figure de la souillure est très présente dans le film et ce n’est, sans doute, pas un hasard s’il débute sur une plage jonchée de déchets.
Le genre auquel cette œuvre se rattache est flou. Par le rire doux amer qu’il provoque parfois, il est tentant de la classer dans la comédie italienne, mais il s’agit plus d’une étude psychologique, d’ « un portrait d’une enfant déchue ». Avec la gravité qui gagne à la fin, les thèmes abordés (solitude, ennui, incommunicabilité) peuvent, également, faire penser à Antonioni.
La forme particulière du film est, aussi, source de confusion puisqu’elle fait penser à un film à sketches. En effet, la plupart des scènes s’enchaînent sans fluidité, sans que le scenario, la mise en scène ou le montage ne créent des liens les unes avec les autres. Cette impression est accentuée par le fait que Stefania Sandrelli change d’apparence (coiffure, habits) à chaque segment du film. Ainsi, s’il y a d’évidents flashbacks, le spectateur n’est pas certain que l’histoire contée l’est toujours dans l’ordre chronologique. Cet aspect heurté est certainement un écho à la vie chaotique du personnage principal.
Beaucoup de talents se sont penchés sur ce film. Le scenario est signé du futur cinéaste Ettore Scola accompagné de Ruggero Maccari, tandem qui avait déjà scénarisé « Le fanfaron », admirable film de Dino Risi. Le talentueux réalisateur, Antonio Pietrangeli, peu connu en France, s’est déjà intéressé à la condition féminine, notamment dans « Adua et ses compagnes » avec Simone Signoret. Le casting est brillant, Stefania Sandrelli, dans ses tribulations est entouré de Jean-Claude Brialy (le film est une co-production avec la France), Nino Manfredi, Ugo Tognazzi, Franco Nero, Mario Adorf…
Parfois, un peu trop long, mais je ne me lasse pas de contempler les paysages de l’Italie, alors en plein boom économique. Le caractère apparemment détaché du personnage principal peut être un obstacle à l’intérêt que l’on lui porte, mais le spectateur, contrairement aux autres personnages du film qui en ont tous une vue partielle, peut la « connaître bien » et alors l’émotion point au détour d’un baiser donné à un boxeur miteux et défait, d’un regard à un amant qui l’utilise pour en conquérir une autre, d’une visite à des parents vivants dans la plus grande précarité. Le film est généreux puisqu’il réserve de très belles scènes aux autres acteurs avec, notamment, une séquence d’humiliation par des mondains d’un acteur en recherche désespérée de cachets (Ugo Tognazzi y est encore une fois génial, il obtiendra, d’ailleurs, un prix pour ce second rôle).
Ce film sensible et brillant montre, encore une fois, qu’au milieu des années 60, le cinéma italien était le meilleur du monde.