C’est peu dire que j’avais beaucoup aimé le premier film de Kheiron, « Nous trois au rien », où il racontait avec une vraie légèreté et un humour délicieusement décalé les choses lourdes, douloureuses qu’avaient vécues ses parents, opposants au(x) régime(s) iranien(s). Avec « Mauvaises herbes », cette fois-ci, Kheiron se sert de son expérience d’éducateur pour mettre en lumière, toujours avec légèreté, avec un humour efficace, les choses lourdes et douloureuses qui peuvent émailler les vies de ceux qu’on appelle pudiquement « les gamins à problèmes ». Le long métrage alterne les scènes se déroulant au présent avec des scènes du passé de Waël, dures, sans concessions. A ce titre, la scène d’ouverture du film est implacable : le massacre du camp, filmé sur fond de comptine enfantine, donne le ton d’un film qui ne sera pas juste une comédie de plus au programme du cinéma français. Les scènes du Liban, courtes, peu nombreuses mais percutantes, viennent créer un contraste (qui n’en est en réalité pas vraiment un) avec le présent des 6 gamins de la banlieue. Oui, Waël a connu le pire mais les gamins d’aujourd’hui connaissent aussi des problèmes lourds, certes différents, mais pas moins traumatisants. La musique (orientale) est omniprésente dans son film, ce qui là encore allège son propos et permet de faire passer les scènes un peu difficiles. Montage réussi, film bien rythmé qui passe tout seul, humour bien dosé, suspens bien dosé aussi, dans la forme Kheiron a tout bon ! Côté casting aussi du reste, même s’il est cette fois-ci un peu plus resserré : Catherine Deneuve charmante en ancienne bonne sœur, avec son petit caractère, André Dussolier parfait en vieux bougon au grand cœur et les gamins, épatants comme savent l’être les gamins au cinéma, c'est-à-dire naturels et spontanés. Kheiron, qui s’est offert le rôle titre encore une fois, démontre qu’il n’est pas seulement un stand-uper formidable, mais aussi un comédien prometteur. Je vais quand même me fendre d’une mention spéciale pour Alban Lenoir, acteur sous-employé par le cinéma mais que j’affectionne beaucoup, qui n’a jamais eu peur, quand on en lui en a donné l’occasion, de jouer des rôles complexes, difficiles. Ici,
en flic ripou
, sorte de mauvais ange régnant sur le trafic de la cité qu’il est pourtant censé protéger, il est juste comme il faut : séduisant et vénéneux ! Pour apprécier le scénario de « Mauvaises herbes », c’est sur, il ne fait pas être allergique aux bons sentiments, à une certaine naïveté aussi. Si vous ne vous éclatez au cinéma que devant le cynisme ou la noirceur, mieux vaut aller voir autre chose car Kheiron remet sur le tapis les valeurs qui avaient émaillées tout son premier film. Ici, il est question de transmission bien-sur, mais surtout d’enfants en danger. La gravité varie,
de celle qui est trop intelligente pour suivre à l’école à celui qui élève seul ses frères et sœurs, de celui qui ne sait ni lire ni écrire à celle qui cache un secret lourd qui la mine,
Kheiron balaie le spectre de tout ce qu’il a pu rencontrer dans son ancienne vie d’éducateur. Ses gamins là créent des problèmes, mais ils ont aussi des problèmes, des problèmes presque insurmontables parfois. Waël, complètement novice dans ce métier d’éducateur, tente plusieurs approches, réussi parfois, se plante parfois, va chercher des conseils de communication dans l’intégrale de « la Petite Maison dans la Prairie », puise dans son enfance à lui, pourtant très différente (et qu’il ne leur racontera jamais, alors que ça aurait été facile de leur faire la morale avec ça), des leviers pour comprendre les gamins. L’humour, omniprésent, c’est l’humour de Kheiron, un humour de stand-up, un humour décalé, presque absurde aussi par moment, qui mêle la parodie avec le non-sens. Il faut adhérer, bien sur, mais moi j’adore, c’est un humour moderne, urbain, un peu cinglant mais jamais cynique. On peut reprocher au scénario une certaine candeur, une certaine naïveté, même si on frôle le drame parfois on sait d’emblée que tout cela va bien finir, sur une note optimiste, avec des beaux et bons sentiments à la clef. Est-ce que tout cela est crédible ? Probablement que non, pas entièrement, mais je crois que ce n’est pas son problème, à Kheiron… Contrairement à son premier film, il ne raconte pas une vraie vie mais une variation de ce qu’à été sa vie à lui, pendant un moment. Il en fait un film attachant, réussi et d’une naïveté touchante. Que ce soit pétri de bons sentiments c’est sur, et comme l’époque est au cynisme et au politiquement incorrect, ca fera grincer quelques dents mais tans pis pour eux. « Mauvaises herbes » est un vrai « feel-good movie », qui fait passer un excellent moment de cinéma, qui nous montre des choses graves et nous fait rire la minute suivante, et c’est tout ce que j’attendais de son deuxième film.