On peut distinguer deux mouvements dans le film de Finkiel, qui se complètent tout en s'opposant. Il y a tout d'abord une composante un peu traditionnelle, pas inintéressante pour autant, celle de la chronique historique : malgré une indéniable économie de moyens, "la Douleur" nous plonge de manière crédible dans le Paris de la Libération, peignant un tableau quand même assez saisissant d'une époque charnière qui vit se succéder en quelques mois la déroute de la France collabo, le départ des occupants et la découverte des horreurs nazies (l'apparition des rescapés de l'Holocauste constituant, en toute logique, l'un des beaux moments d'émotion d'un film qui ne joue pas facilement cette carte pourtant évidente...). En dépit d'une interprétation pas trop convaincante du casting masculin en général (Magimel plus physique qu'autre chose, Biolay un peu perdu), il est difficile de ne pas se laisser prendre par cette histoire (vraie) ambiguë - à peine effleurée, mais c'est très bien - du réseau RNPG (la jeunesse de Mitterrand, quand même), et de la séduction d'un gestapiste désenchanté. La belle singularité de "la Douleur*" provient néanmoins bien plus de sa lecture fidèle du récit durassien de l'égarement de l'écrivaine dans le labyrinthe de la folie, au fil de journées d'attente de plus en plus insupportables. Là, Finkiel transcende les limites de "l'adaptation" cinématographique pour nous offrir - car c'est un cadeau, et splendide - une lecture inspirée du texte, magnifique, de Marguerite Duras : les trouvailles de mise en scène, de filmage, de musique, l'interprétation osmotique de Melanie Thierry, tout concourt à un véritable trip à la fois littéraire et viscéral. Jusqu'à une révélation finale (pour ceux qui n'ont pas lu le livre) qui jette une perspective différente, bien venue, sur le chemin de croix de Marguerite Antelme. "La Douleur" n'est certes pas un film très aimable, il constitue toutefois une belle expérience de cinéma.