Barbet Schroeder a toujours été fasciné par le bouddhisme, qui est une religion athée, sans dieux, et qui permet le pessimisme. En 1961, à l'âge de 20 ans, le cinéaste a entrepris un long voyage sur les lieux historiques du Bouddha jusqu’au Sri Lanka. Il se rappelle :
"L’idée de ce film a émergé après la relecture, il y a près de deux ans, de l’extraordinaire et incontournable Bouddha historique, de Hans Wolfgang Schumann, suivi par hasard du Rapport de la Faculté de Droit de l’Université de Yale, qui suppliait très officiellement les Nations Unies d’intervenir en Birmanie. Le texte énumérait tous les signes d’un début de génocide à l’encontre de la minorité musulmane des Rohingyas et incriminait plus précisément un mouvement de moines extrémistes. J’ai voulu en savoir plus. Je suis donc parti sur place, dans la ville la plus bouddhiste du monde, Mandalay, qui compte plus de 300 000 moines pour 1 million d’habitants."
Le Vénérable W. est le dernier volet d’une "Trilogie du mal", commencée avec Général Idi Amin Dada : autoportrait sur le dictateur ougandais (1974), puis L'Avocat de la terreur (2007) sur Jacques Vergès. Le même point de départ est à l’origine de ces trois projets : dialoguer avec des gens au travers desquels le mal peut s’incarner sous différents visages et laisser l’horreur ou la vérité s’installer d’elles-mêmes petit à petit, au gré des rencontres.
Barbet Schroeder a passé six mois à faire des recherches approfondies sur le sujet du film, dans le secret le plus absolu. Lorsqu'il s'est rendu sur place, il a pu rencontrer Wirathu et lui proposer cette aventure. Quand ce dernier a demandé au metteur en scène pourquoi il voulait réaliser le film, il répondit que Marine Le Pen partageait beaucoup de ses idées et que si elle arrivait au pouvoir en France, elle ferait sans doute appliquer des lois semblables à celles qu’il venait d’arriver à faire voter dans son pays.
"En fait la réponse que j’avais donnée à Wirathu était assez proche de la vérité car c’était en effet des problèmes occidentaux dont je voulais aussi parler, en approchant un personnage dont le bouddhisme était en fait avant tout nationaliste et populiste. Une fois sur place j’ai donc compris que nous avions beaucoup à apprendre des bouddhistes extrémistes. Les “axes du mal” et les populismes n’ont pas de frontières... Je voulais comprendre comment ce genre de paroles provoquaient des passages à l’acte alors que ceux qui les prononçaient avaient souvent un discours de paix et d’harmonie", explique Barbet Schroeder.
Le Vénérable W. a pu bénéficier d’un nombre incalculable de progrès techniques en commençant par la petite caméra Sony AS7 4k (deux fois la résolution d’un film de cinéma) dont Barbet Schroeder dit "qu’elle crée la beauté en permettant de tout tourner, toujours en lumière naturelle même si c’est le clair de lune !"
La plus grande partie de l’action du film se déroule à partir de 2012 et c’est à ce moment-là que les iPhone ont commencé à avoir une qualité compatible avec le grand écran. Barbet Schroeder et son équipe ont ainsi pu accéder à de nombreux tournages amateurs correspondant aux incidents survenus à cette époque. "En 2003, au contraire il n’y avait pratiquement pas d’images pour la première grande émeute dans laquelle Wirathu a eu un vrai rôle, dans sa ville natale de Kyaukse, et pour laquelle il a été emprisonné jusqu’en 2012", se souvient le réalisateur.
Le Vénérable W. a été présenté en Séance Spéciale au Festival de Cannes 2017. Barbet Schroeder est un habitué du célèbre festival puisque plusieurs de ses films y ont été présentés, à l'image d'Amnesia (2015), L'Avocat de la terreur (2007) ou encore Calculs meurtriers (2002).
Côté bande-originale, Barbet Schroeder a fait équipe avec son ami Jorge Arriagada, qui avait composé les musiques de L'Avocat de la terreur, Inju et La Vierge des tueurs. Pour Le Vénérable W., les deux hommes ont eu une approche semblable à celle utilisée dans les films de fiction en cherchant à faire remonter à la surface des associations d’idées non dites. Le réalisateur précise :
"Par exemple, la musique souligne le lien qu’il peut y avoir entre l’enfant qui regarde les affiches effrayantes que Wirathu a placé devant ses bureaux, et l’enseignement qu’il donne à des foules d’enfants. Ou encore le souvenir d’un viol dont W. a été témoin à l’âge de 11 ans peut devenir ainsi à travers la musique, l’une des explications possibles de ses obsessions. Nous avons aussi employé à plusieurs reprises deux chansons joyeuses faisant partie de la propagande des mouvements extrémistes, et c’est seulement à la toute fin du film que nous en révélons les terribles paroles, en contraste total avec le Méta Sutta, l’un des chants récités les plus essentiels du bouddhisme Theravada dont la mélodie ou les paroles en langue Pali reviennent à plusieurs reprises dans le film."