Barbet-Schroeder adore les "monstres", mais plutôt que d'employer ce terme trop fourre tout, mieux vaut dire qu'il s'intéresse à ces individus qu'un ensemble de détachement et de cruauté coupe de l'humanité. Verges n'était sans doute pas un monstre (par contre, Idi Amin Dada en était un beau!) mais nous n'avions pas l'impression que cet homme opaque était complètement humain.... Plus opaque encore, le vénérable Wirathu, souriant comme un bon moine bouddhique, mais soyons net: le film qui lui est consacré est infiniment moins réussi que les précédents auxquels nous faisions allusion. Il est confus, encombré de vidéos anciennes et illisibles, il se mélange les pieds dans le tapis de la politique birmane, il se prend les pieds dans le tricot des ethnies birmanes et...... ne sait pas quoi faire d'Aung San Suu Kyi. Il faut dire que plus personne ne sait quoi faire de la Dame de Rangoon depuis qu'elle a échangé son statut de sainte et martyre pour celui de..... collabo!
Et surtout, alors que Barbet-Schroeder nous avait habitués à regarder ses monstres d'un œil froid, distant, comme un entomologiste d'immondes araignées épinglées dans une boite, on dirait ici qu'il prend parti, et déplace les perspectives. Moyennant quoi, à la fin nous ne sommes pas plus avancés.....
Ce qui est certain, c'est que la bigoterie rend méchant, pour dire les choses en termes choisis. Or, on a toujours l'impression que le bouddhisme, avec ses gentilles moniales qui disent Om! Om! Om! échappe complètement aux excès des religions monothéistes (et d'ailleurs, est ce vraiment une religion dans le sens qu'on attribue généralement à ce concept: quelque chose autour d'un dieu ?) ; on a l’impression qu'être bouddhiste et fanatique, ça ne va pas ensemble. Ben si. Ça peut aller.... Wirathu en est un exemple. Et il a nombre de disciples, moines fanatisés et populations qui écoutent ses prêches avec extase.
Prêtre brillant à la parole facile, il est emprisonné deux ans pour s'être opposé à sa hiérarchie qui pactisait avec la dictature militaire, ce qui le rendrait plutôt sympathique. Mais voilà, il déteste les musulmans. Ce serait amusant -si ce n'était effrayant!- de voir que ses arguments recoupent ceux de « notre » antisémitisme européen d'avant-guerre: "ils ont de l'argent, ils font fortune, c'est parce qu'ils vous volent"
Tout part du viol et de l'assassinat d'une adolescente bouddhiste par trois jeunes musulmans. Premiers affrontements, Wirathu attise le feu. Sporadiquement, des émeutes opposent les deux communautés, chaque fois, le mouvement 696 de Wirathu est derrière, avec ses bidons d'essence.... Et à chaque fois, des morts de chaque côté par dizaines ou par centaines, chaque communauté accusant l'autre d'avoir commencé....
Ils s'en prennent majoritairement à la minorité Rohingyas de l'Arakan, à l'ouest du pays. Ils ont pourtant l'air bien pacifiques, ces misérables paysans Rohingyas! On tente de les chasser au Bangladesh, qui n'en veut pas : il a assez de miséreux chez lui. Et les pays musulmans voisins ? Ils n’en veulent pas non plus. Sont ils bengalis, en fait? Leur origine n’est pas claire, mais en fait, ces malheureux sont rejetés à la fois par fanatisme et par racisme. Il reste aux infortunés .à pourrir dans un camp de réfugies....... La façon dont Wirathu parle des Rohingyas, les décrivant comme des espèces d'animaux, est terrifiante.
Alors, on dit aussi qu'il y aurait du pétrole en Arakan, d'où la nécessité de nettoyage ethnique pour le gouvernement -ce qui n'est plus du ressort de Wirathu. On voit bien que Barbet Schroeder n'a pas bossé son sujet à fond. Il y a aussi une volonté dans le film de faire apparaître les moines comme une minorité à la fois très importante en nombre (et je pense bien en effet qu'ils sont surreprésentés en Birmanie par rapport aux autres pays du SE asiatique..... d'autant plus qu'ils n'ont pas subi les purges communistes) et très privilégiée: on nous les montre se prélassant dans des lieux somptueux, si élégants dans leur drapés corail, prune ou safran, n'est ce pas un poil tendancieux? je m'interroge.... Ce sont toutes ces petites choses qui entachent le film.
Une chose est certaine, c'est qu'il y a une instrumentation de la religion au service du nationalisme et du racisme. Les foules fanatisées répètent en boucle, protégeons notre race, protégeons notre religion. Tandis que la petite voix bouddhiste, merveilleusement dite par Bulle Ogier, susurre, doucement, que non, le vrai bouddhisme ce n'est pas cela du tout. Ce que disent aussi certains intervenants, religieux plus modérés.
Mais en même temps, lorsque Wirathu dénonce un islam expansionniste "nous ne deviendrons pas l'Indonésie, nous ne deviendrons pas la Malaisie" faut il refuser de l'entendre? La question est là. Si le petit moine haineux est devenu un héraut (maintenant son association serait dissoute) il n'est pas inutile de chercher à comprendre pourquoi..... N’est ce pas, justement, parce que le bouddhisme est une idéologie sous laquelle il fait plutôt bon vivre que les foules ont une réaction aussi violente ? Parce qu'elles ne veulent pas mener la vie des Malaisiens? Wirathu le monstre n'a t-il pas su exploiter une inquiétude qui n'était pas illégitime? Donc, je le redis: ce n'est pas une œuvre de journaliste, ce n'est pas une oeuvre de géopoliticien, juste un portrait effrayant, d'un homme que le fanatisme et la certitude qui l'accompagne rend effrayant, portrait à la manière d'un Soutine ou d'un Lucian Freud....