Le film débute en juin 1973 en Uruguay où le pays bascule dans la dictature militaire et s’accompagne de l’arrestation de 3 dirigeants (parmi 9) du groupe Tupamaros, mouvement d’opposition de gauche (créé dans les années 1960’) et qui doit son nom à Túpac Amaru, chef amérindien qui se révolta contre les Espagnols au XVIe s. Il s’agit de José Mujica (Antonio de LA TORRE) dit Pepe, Eleuterio Fernandez Huidibro, dit El Ñato et Mauricio Rosencof (Chino DARÍN, fils de l’acteur argentin Ricardo Darín). En 122 mn, le réalisateur réussit à résumer et synthétiser 12 ans d’emprisonnement [
les années civiles sont égrenées avec le nombre de jours de détention et illustrées par quelques informations d’actualité apportées par la radio : obtention en 1976 de 5 Oscar pour « Vol au-dessus d’un nid de coucou » (1975) de Miloŝ Forman, présidence de Jimmy Carter aux Etats-Unis de 1977 à 1981
] des 3 hommes dont les conditions de détention étaient inhumaines :
transferts fréquents avec menottes et sac sur la tête, interdiction de parler, cellules sans accès à la lumière solaire, sans lit, ni W-C, coups, simulacres d’exécution par étouffement, électrochocs, douches épisodiques, etc.
; le but ultime des militaires étaient de les détruire physiquement et moralement, de les rendre fous. Le réalisateur a su représenter leur état d’esprit (
basculement vers une psychose délirante pour Pepe, écriture de lettres pour des geôliers par Maurizio) et cite, en préambule, un extrait de la nouvelle de Franz Kafka (1883-1924), « La colonie pénitentiaire » (1914)
. La première scène est particulièrement démonstrative :
des militaires viennent extraire des prisonniers, après les avoir roués de coups, pour les transférer en camions, la scène étant filmée par une caméra qui effectue une rotation de 360° à partir d’un point central de la prison et au son d’un air de tango. Les 3 hommes réussissent à communiquer entre eux en tapant sur les cloisons de leurs cellules, se considérant avant tout comme des camarades (« Compañeros ») et même à jouer aux échecs sur un damier virtuel.
L’insertion de flash-backs racontant leurs arrestations permet de sortir de l’univers carcéral déshumanisé. Sans oublier la bande son avec la chanson « The sound of silence » (1964) de Paul Simon et Art Garfunkel, interprétée par la chanteuse catalane, Sílvia Pérez Cruz.
Suite à un référendum en 1980 où le refus d’entériner la dictature est majoritaire, les prisonniers politiques sont libérés en 1985, au bout de 4 323 jours pour 3 hommes et dont les retrouvailles avec leurs familles (femmes et enfants pour Maurizio et Eleuterio, mère pour José) sont émouvantes. A la fin du film, on apprend qu’Euleterio est devenu sénateur jusqu’à sa mort en 2016 à 74 ans, Maurizio a continué d’écrire (le film est d’ailleurs adapté de son récit de captivité) et Pepe, après avoir été sénateur, ministre de l’agriculture (2005-2008), est devenu président de la République d’Uruguay à 75 ans, entre 2010 et 2015.
Une réussite, tant d’un point de vue cinématographique [le film est dans la lignée de ceux de Costa-Gavras, tels « L’aveu » (1970) ou « Etat de siège » (1973) qui raconte l’enlèvement d’un agent de la C.I.A. par les Tupamaros] qu’historique car la dictature uruguayenne est beaucoup moins connue en Europe que celles, à la même époque, du Chili (1973-1988), d’Argentine (1976-1983) et du Brésil (1964-1985) qui avaient, eux aussi, leurs « escadrons de la mort » pour éliminer les opposants politiques, dans le cadre du plan Condor, avec le soutien tacite des Etats-Unis.