C’est étonnant, le nombre d’histoires qu’on peut inventer en prenant pour point de départ la simple petite conjonction de deux lettres « si » : elle ouvre tous les possibles et autorise toutes les audaces. Les récits qu’on en tire sont toujours empreints de fantastique, parfois marqués de drôlerie, d’autres fois glissant vers quelque chose de trouble, voire d’effrayant. Beaucoup d’auteurs s’en sont emparés, pour le plus grand bonheur des lecteurs, tel Julien Green qui, dans « Si j’étais vous » en 1947, imaginait un personnage doté du pouvoir de faire migrer son âme au gré de ses désirs dans le corps de quelqu’un d’autre. Devenir un autre que soi…
Dans le film de Sophie Fillières, c’est, d’une certaine façon, le postulat contraire qui est proposé : il ne s’agit pas de se changer en un autre, mais de se rencontrer soi-même plus âgé de 20 ans (ou plus jeune du même nombre d’années, selon le point de vue adopté). Margaux (Sandrine Kiberlain), une femme de 45 ans, fait la rencontre d’une jeune femme de 25 ans (Agathe Bonitzer), qui porte le même prénom qu’elle et en qui elle ne tarde pas à se reconnaître. Elles se retrouvent dans les mêmes lieux et, bien sûr, la Margaux plus âgé peut renseigner la cadette sur son présent comme sur son futur. « Tu fumes ? », demande la Margaux de 25 ans. « Oui, j’ai commencé à fumer il y a 15 ans. Tu commenceras donc à fumer dans 5 ans », répond la Margaux de 45 ans.
On s’amuse beaucoup de ce genre de reparties comme de voir les deux femmes agir de la même façon, demandant, par exemple, toutes deux un autographe à la danseuse Aurélie Dupont qu’elles croisent dans un train. Ces jeux de miroir sont très habilement mis en scène par Sophie Fillières, jeux de miroir d’ailleurs relatifs, car on est frappé également par des dissemblances. Physiquement, les deux femmes diffèrent sensiblement et pas seulement à cause de l’âge. Quant à leurs goûts respectifs, ils ne sont pas non plus forcément identiques. Ainsi, la plus âgée s’étonne de constater que la plus jeune aime les champignons alors qu’elle, elle les déteste.
L’arrivée de Marc (Melvil Poupaud), l’amant de Margaux la plus jeune, sème encore davantage le trouble dans l’esprit du spectateur et entraîne le film vers la fantaisie la plus pure. Tout est invraisemblable, tout est déconcertant. Pourtant, comme la cinéaste filme cette histoire à dormir debout avec un naturel confondant et comme on est en présence d’actrices de grand talent, on n’en est pas moins captivé. Quand ils sont bien réalisés, les récits les plus farfelus ont tant de charme qu’on ne demande pas mieux que de s’en régaler.