À cause de sa réputation de charognard, le chacal est devenu par extension un terme désignant une personne sans scrupules, prête à tout pour s'enrichir aux dépens des autres. À plus d'un titre, cette définition plane de toute son ombre sur le pitoyable nouveau long-métrage de Kevin Greutert, connu essentiellement pour avoir dirigé les jeux macabres des épisodes 6 et 7 de la saga "Saw".
D'abord, il y a bien entendu cette secte dirigée par un Anubis version sadomasochiste au coeur des événements du film. En plus de discours sectaires caricaturaux très vite évacués, le chef à tête de chacal de l'organisation paraît recruter ses membres sur les charognes de familles dysfonctionnelles pour que ceux-ci se retournent contre elles et les massacrent tout en les dépouillant de leur argent. C'est évidemment le sens à donner à la scène d'ouverture aussi grotesque que gratuite : montrer qu'une fois embrigadé, un membre ne sera fidèle qu'à cette nouvelle "famille" au contraire de sa véritable qui a désormais de très gros soucis à se faire.
Avec Justin, le personnage central du film, on peut dire que la secte est bien tombée en matière de recrutement tant la famille du jeune homme n'est juste qu'un amas de clichés prétextes à montrer sa désunion (père volage, mère alcoolique, frère violent). Ainsi, quand Justin a mis enceinte par accident sa petite amie à l'université, on peut imaginer sans peine qu'il a eu peur de reproduire le schéma à problèmes dont il est issu et c'est donc tout naturellement qu'il a fui ses obligations pour rejoindre ce culte lui promettant une totale liberté s'il portait un masque d'animal en se faisant appeler Thanatos (ça paraît si logique !). Seulement, dans ce cas précis, la secte n'avait pas prévu une donnée fondamentale : l'amour de son ancienne famille envers Justin. Prête à tout pour le récupérer, cette dernière fait appel à un ancien Marine spécialisé dans le désendoctrinement (Stephen Dorff) et le charge d'enlever leur fils des griffes des hommes à têtes d'animaux. Enfin tous réunis dans leur chalet perdu au fin fond des bois, ils tentent désespérément d'inverser le lavage de cerveau du cadet de la famille quand, soudain, à la nuit tombée, la nouvelle "famille" de Justin vient encercler la petite maison...
Dans le fond, tout ça n'était pas si bête, le combat entre cette famille biologique animée par ses dissensions et cette famille de substitution parfaitement unie autour de ses croyances violentes trouvait un point d'ancrage intéressant avec le personnage de Justin au coeur de tous les enjeux, les premiers instants de retrouvailles/face-à-face entre lui et sa famille laissaient même augurer une tension psychologique plutôt prenante.
Mais c'était sans compter sur ce charognard de Kevin Greutert qui va vite abandonner cette perspective intéressante dans la brume nocturne de son film pour piller les dépouilles de long-métrages bien meilleurs que lui. On aurait déjà pu le deviner avec la scène d'ouverture en forme de clin d'oeil à celle de "Halloween" (version found-footage, beurk !) mais l'exposition plutôt maligne pour entretenir le mystère sur la réelle teneur du propos était parvenue à faire illusion, notamment par l'idée de traiter Justin comme un possédé dans un premier temps (enfin... dans le cas où vous n'avez pas lu le pitch ou vu la bande-annonce auparavant sinon autant dire que tout ça ne sert rien). Quand ce mystère s'évapore et que "Jackals" rentre dans le dur du home invasion qu'il met en scène, il devient assez vite clair qu'on a affaire à une caricature du genre de grande ampleur. Comme le film a mis de côté ce qu'il avait de plus pertinent à raconter avec Justin coincé à l'étage du chalet, Kevin Greutert n'a, en effet, plus d'autre choix que de miser sur l'efficacité des attaques entre les agresseurs et leurs victimes. Malheureusement pour nous, l'originalité et l'inventivité ne sont clairement pas les qualités premières du bonhomme pour la faire vivre à l'écran.
Le jukebox de situations les plus fatiguées du home invasion auquel on va assister prend évidemment sa source première dans le film "The Strangers" à cause de la gratuité et la cruauté des actes des membres de la secte. Seulement, "Jackals" se tire lui-même une balle de pied avec l'absurdité de son assaut (une trentaine d'agresseurs, voire plus, contre une seule famille) condamnant presque de fait les victimes à un sort inévitable et le suspense qui allait de pair. On se retrouve ainsi avec une espèce d'antithèse parfaite à l'intelligence du film de Bryan Bertino où non seulement la volonté de "s'amuser" des meurtriers passe par l'idée complètement idiote de s'introduire un par un dans le chalet pour mieux se faire éliminer mais également par un désintérêt constant devant des héros auxquels on doit normalement s'attacher. Condamnés à se retrouver en duos entre chaque attaque afin d'exprimer la désunion de cette famille autour de leurs petits traumas respectifs, ces personnages d'une pauvreté sans nom sont l'équivalent d'une chair à canon totalement creuse où seul l'ordre de leurs morts respectives est la donne la plus surprenante du film. Devant une telle indigence de rebondissements, difficile aussi de frémir devant les agissements de cette secte diabolique qui fait à peu près tout ce qu'on était en droit d'attendre d'elle, même le mutisme de ses adeptes et leurs masques volés à leurs collègues bien plus funs de "You're Next" ne réussissent pas à créer une aura d'étrangeté susceptible de combler le vide scénaristique (à vrai dire, le masque dû à la chirurgie sur le visage de Deborah Kara Unger est la chose la plus effrayante du film).
Enfin, en plus des tréfonds du néant dans lequel il nous entraîne, "Jackals" agrémente le tout d'invraisemblances hilarantes (la distance très fluctuante de la maison des voisins selon les répliques, un meurtre avec une corde venue d'un arbre au bon endroit comme par magie, le personnage intéressant du Marine au sort absolument ridicule...) comme si, dans le fond, tous les participants à cette affaire avaient conscience de l'impasse dans laquelle ils s'étaient fourrés et avaient décidé de ne plus vraiment y prêter attention en cours de route.
Et encore, à côté de tout cela, la conclusion de "Jackals" est la cerise sur ce gâteau en carton ! Alors que le film semble se réveiller pour revenir enfin au postulat sur lequel il s'est bâti en remettant Justin au centre de la partie, Kevin Greutert nous crache à la figure une non-fin cohérente avec le reste, certes, mais tellement affligeante par son côté abrupt et facile qu'elle ne fait que renforcer l'impression d'immense vacuité laissée par l'intégralité du long-métrage.
"Jackals" est donc une sorte de truc assez immonde par ses ambitions purement mercantiles : attirer un maximum de spectateurs friands de home invasions grâce à ses types masqués bien mis en avant sur son affiche accompagnée d'un douteux "basé sur des faits réels" pour, au final, leur offrir une photocopie ratée des meilleurs hits du genre en échange de leur argent. La définition même d'un chacal cinématographique en somme.