"Au final, ce que nous avons surtout voulu, c’est donner aux abatteurs la place d’être écoutés et d’être regardés. En leur donnant la parole et en restituant leurs gestes, leur noblesse éclate et on peut entendre la tragédie de leur histoire, la fierté de leur savoir-faire, leur puissance autant que leur fragilité. Avec eux, nous proposons un éclairage sur l’état général du travail en France et en particulier sur ces ouvriers cachés."
Dans l'abattoir représenté dans le film situé à Vitré (Ille-et-Vilaine en Bretagne), 500 bovins et 1 400 agneaux sont débités dans la journée. De 6 heures à 16 heures, 100 ouvriers font passer des bêtes du statut d’animaux vivants à celui de demi-carcasses. Et cela tous les jours, dans un éternel recommencement.
Vincent Gaullier et Raphael Girardot ont voulu montrer dans Saigneurs à quel point l'abattoir est représentatif du monde ouvrier dans toute sa modernité. Il y a d'un côté une direction qui tente par tous les moyens de fidéliser ses "opérateurs" tout en gardant la plus grande rentabilité et de l'autre des positions d’ouvriers vis-à-vis de leur travail qu’ils ont du mal à bien faire (cadences, salaires faibles, manque d’évolution, etc.).
L'une des choses que le film montre (notamment dans sa scène d'ouverture) sont les mouvements de gymnastique obligatoires que les ouvriers effectuent chaque jour pour dérouiller les poignets, les coudes, les épaules, mais aussi les lombaires, les cervicales… "Comme des boxeurs avant la lutte. Tenues de rigueur pour ce combat : bottes en caoutchouc blanc, combinaison de coton blanc recouverte par un long tablier blanc, casque de chantier blanc, surmontant une charlotte… bleue. Sans oublier les gants de protection et la cotte de maille", précisent Vincent Gaullier et Raphael Girardot.
Les premières projections ont été faites pour les ouvriers et leur famille, mais à 10 kilomètres de Vitré (le film jugé trop négatif ayant été interdit de projection dans la ville bretonne). Certains enfants étaient là, découvrant le travail de leurs parents et des femmes regardaient avec intérêt ce lieu dont ils ne parlent pas à la maison. Saigneurs a aussi été montré au patron de l'abattoir mais l'accueil fut différent puisque ce dernier a dit à Vincent Gaullier et Raphael Girardot : "C’est votre vision d’artiste, vous avez le droit mais je la trouve très négative. C’est tellement moins dur qu'avant. Je suis sûr qu’il y a des gens très heureux à l’abattoir. Des gens qui s’épanouissent."
Trois ans de recherches et d'attente ont été nécessaires à Vincent Gaullier et Raphael Girardot pour se faire accepter par le directeur d'un abattoir industriel. Les deux réalisateurs ont en tout filmé librement dans un hall d’abattage (de Vitré) pendant un an. Ils se rappellent :
"Nous avons récupéré nos tenues réglementaires, les mêmes que celles des ouvriers, nos casiers de vestiaire et nos badges et nous avons choisi nos jours de tournage. Arrivés sur place, nous avons pu filmer la fatigue des vestiaires comme la houle des réunions mais surtout nous avons pu circuler dans le hall, de poste en poste, à partir du moment où nous respections les consignes de sécurité et d’hygiène. Pendant ces 12 mois, nous avons forcément perdu un peu d’audition, malgré nos protections, vu plus de sang que depuis notre naissance, ressenti l’odeur de la mort comme jamais et éprouvé de la peur régulièrement mais nous avons toujours été poussés par la puissance des abatteurs et la force de leurs attentes vis-à-vis du film et des répercutions qu’il aurait sur le « monde extérieur », ignorant de ce qui se joue derrière les murs d’un hall d’abattage."