On l’oublie trop souvent, William Wyler est, après John Ford, le réalisateur le plus récompensé aux Oscars. Avec 3 statuettes (4 pour Ford) et 9 nominations, il est de loin celui dont le nom a été le plus souvent désigné pour recevoir la récompense suprême. La longévité de sa carrière est aussi remarquable. Il a reçu sa première nomination en 1937 pour « Dodsworth » et sa dernière en 1966 pour « L’obsédé ». Pourtant il n’a pas la réputation d’un John Ford, d’un Michael Curtiz, d’un Howard Hawks ou d’un Billy Wilder. Aussi éclectique que ses collègues, il a été taxé d’une certaine forme d’académisme, notamment concernant ses plus célèbres films en costumes des années 1930. En somme, il lui est reproché de s’être trop bien intégré à la politique des studios sans jamais avoir cherché à imposer un style qui lui était propre. Une démarche qu’il revendiquera, expliquant sur le tard avoir voulu être uniquement au service du sujet et des acteurs dont on soupçonnait pourtant qu’il les malmenait, leur imposant un nombre de prises exagéré. Cette absence de point de vue esthétique affirmé était selon lui la source de son éclectisme. Venu de son Mulhouse natal (la ville était alors rattachée à l’Empire allemand), il débarque à Hollywood en 1922 pour rejoindre Carl Leammle, le cousin de sa mère et fondateur des Studios Universal. Il devient rapidement assistant de direction, participant notamment au « Ben Hur » de Fred Niblo en 1925. Passant à la réalisation, il se fait la main sur une série de westerns de série avant de rejoindre la Warner au début des années 1930 pour y connaître sa période de gloire. En 1940, passé à la MGM, il réalise enfin un nouveau western. Ce sera « Le cavalier du désert » avec Gary Cooper alors au sommet de sa gloire. Pourtant l’acteur en lisant le scénario commença par refuser le rôle, estimant que la part était trop belle pour Walter Brennan qui devait jouer le juge Roy Bean. Samuel Goldwyn usa de toute son autorité contractuelle pour obliger Cooper à tenir son rôle dont il l’assura malgré tout qu’il serait étoffé. Le juge fantasque est formidablement campé par l’inénarrable Brennan qui obtiendra là son troisième oscar pour un second rôle. Western s’appuyant sur un fond de lutte territoriale classique entre éleveurs de bétails et cultivateurs, « Le cavalier du désert » ne s’appuie pas sur une veine épique comme pouvaient le faire John Ford ou Howard Hawks mais s’évertue à tirer tout le parti du facétieux Walter Brennan opposé au marmoréen Gary Cooper avec au milieu la fameuse actrice anglaise Lily Gantry dont le juge s’est entiché, ayant accroché une bonne vingtaine de ses portraits au-dessus du bar derrière lequel il rend une justice que l’on pourra qualifier de sommaire et d’expéditive. Le juge en question a bien existé, se dénommant lui-même : « la seule loi valable à l’ouest du fleuve Pecos ». Trente ans plus tard, le non moins facétieux John Huston reprendra la recette en réalisant « Juge et Hors-La-Loi » avec Paul Newman dans le rôle du juge. La veine parodique sera alors poussée encore un peu plus loin avec Anthony Perkins dans le rôle d’un révérend anachronique mais aussi Ava Gardner dans celui de Lily Gantry qui n’apparaît bien sûr en aucune façon dans le film de Wyler où elle n’est qu’un fantasme dans l’esprit encore adolescent du juge. On sourit souvent, Wyler usant avec délectation de l’opposition entre Brennan et Cooper qui se connaissaient bien. Un Walter Brennan proprement démoniaque et jubilatoire dont la prestation est très en avance sur son temps. « Le cavalier du désert » n’est donc sans doute pas le film qui illustre le mieux l’académisme tant reproché à William Wyler.