Surtout, ne pas se méprendre sur le sujet… Ne pas penser que Claire Denis a filmé les embarras et les tâtonnements de l’amour, comme pourraient nous le faire imaginer certaines critiques évoquant les Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. De l’Amour dans ce film, tout au contraire, il n’y en a pas. Et on le regrette bien en tant que spectateur assoiffé d’émotions. Il n’y en a pas et c’est le problème d’Isabelle, cette belle artiste galeriste quinquagénaire superbement incarnée par Juliette Binoche. Elle est éperdument à sa recherche, mais il ne se présente pas. Dans sa quête, elle sacrifie toute sa liberté de femme, y met des trésors d’indulgence, enfile des cuissardes impossibles, mais l’Amour reste aux abonnés absents. Isabelle se prend claque sur claque, vacille, trébuche et pleure devant le vide récurrent de sa vie non dépourvue d’hommes, mais dénuée d’amour, sauf parfois avec un tout petit a. Le film aborde la difficulté que peut rencontrer une femme à trouver l’homme de sa seconde vie, et c’est là tout son intérêt. Beaucoup grâce au talent de Juliette Binoche, on sort bien sensibilisé à cette question. Un film aussi sur la déprime par la solitude urbaine. Sur une insupportable suffisance de certains milieux parisiens. Sur l’amour illusion quand il est un peu tard. Des thèmes intéressants donc… Mais cinq fois hélas...
Hélas, le film se fragmente, passant d’un amant à l’autre sans jamais approfondir les relations, et ce malgré des flots interminables de paroles. Rohmer avait avec sobriété tellement plus de choses à dire sur la peine à aimer ! Ou encore un roman tel que « Dans le jardin de l’ogre » de Leila Slimani montre combien on peut penser plus loin sur ce sujet de l’amour tardif au féminin.
Hélas encore, les hommes sont montrés avec un point de vue si critique et caricatural que cela frise la misandrie. Irrésolution chronique, futilité immature, nombrilisme maladif, vulgarité et bassesse, tout défile. Malgré les beauferies bien répandues, machismes et autres indélicatesses masculines, il doit être possible de trouver certains hommes réunissant quelques qualités. Isabelle n’a certes pas cette chance. À moins que la scénariste Christine Angot ne règle avec les tous hommes des comptes mal soldés avec certains. Imaginons un instant d’inverser les sexes : un homme d’âge mûr rencontrant diverses femmes, nombreuses, mais toutes infréquentables. On crierait avec juste raison à la misogynie la plus détestable.
Hélas toujours, Juliette Binoche est parfaite. Je veux dire trop jolie, trop maquillée, trop coiffée… Défaut bien classique du cinéma français que de mettre en scène de trop beaux visages. Des acteurs si superbes que le spectateur, loin d’oublier qu’il est au cinéma, voit une vedette sapée poudrée à l’écran et pas un personnage normalement fagoté dans sa vie. Josiane Balasko aurait selon moi mieux convenu au rôle.
Hélas aussi, les facilités de mise en scène abondent : les flous de nuit avec saxo de jazz, les slows érotisant les rencontres, les couples accoudés devant leur whisky au bar d’un hôtel classe… On a trop vu ces vieux clichés.
Hélas enfin, le milieu artisto-bobo-luxo-nombriliste que Claire Denis a choisi de montrer est très loin du vrai monde de 99 % des vrais gens. Alors, les problèmes existentiels de ces gavés immodestes et assez méchants, ça ne sollicite pas bien l’intérêt du spectateur Lambda, en tout cas pas le mien.
Trop d’hélas et c’est dommage, car Un beau soleil intérieur frise le beau portrait de femme, et l’émotion suscitée par Juliette B-Isabelle dans certaines scènes est bien là. Face au génial Depardieu dans la forte scène finale en particulier. Malgré tous les immenses défauts, il reste un film marquant sur la solitude irrésolue de cette femme, et on n’est pas près d’oublier son image.