François Ozon, réalisateur à la carrière éclectique, passant du drame, au récit historique sans broncher avec notamment son dernier film en date « Frantz » mais également à l’aise pour tourner des films populaires comme « 8 femmes » ou « Potiche », le réalisateur français reste une énigme dans le paysage cinématographique français. Avec « L’amant double », Ozon revient au thriller sulfureux auquel il s’était déjà essayé avec « Dans la maison », où il réunit à l’écran celle qu’il avait révélé en 2013 avec son « Jeune et jolie », la troublante Marine Vacth et un habitué de ses films, le belge Jeremy Renier, l’amant double du titre.
Chloé (Vacth) victime de maux de ventre plutôt acerbes va s’engager dans une thérapie avec Paul Meyer (Renier) avec qui, par des concours de circonstances, elle va s’installer après avoir mis fin à leur relation patient-psy pour les raisons déontologiques connues. Éprise de doutes par rapport à la sincérité de son compagnon et persuadée d’avoir aperçu un homme physiquement similaire à Paul alors que ce dernier nie en bloc, elle décide de mener sa propre enquête. Elle va alors aller à la rencontre de cet homme qu’elle avait prise pour Paul pour découvrir que c’est en réalité son frère jumeau, Louis, également psychothérapeute mais dont les méthodes de travail sont diamétralement opposées à celles de son frangin. Entre eux va très vite s’installer une relation perverse et nocive qui pourrait mettre en péril le couple de Chloé.
A la lecture de ces lignes et en tant qu’amateur de cinéma, il est aisé d’identifier les différentes influences cinématographiques, allant du « Sisters » de Brian de Palma au « Faux-semblants » de Cronenberg tout en citant également Hitchcock et Argento, Ozon digère toutes ces influences et les dégurgite de manière saisissante en évitant la citation.
« L’amant double » fait office de véritable ovni dans un cinéma français de plus en plus conformiste et édulcoré, proposant un contenu hybride, à la fois thriller fantastico-érotique, délire psychanalyste et drame psychologique, le film d’Ozon ne cesse de brouiller les barrières entre les genres.
L’œuvre est, à cet égard, plus d’une fois déstabilisante de par son ambiance continuellement à la lisière du fantastique et du cauchemar éveillé offrant d’ailleurs quelques séquences glaçantes et oniriques que n’aurait renié David Lynch. La mise en scène est également mise à profit de ce sentiment d’étrangeté qui émane du long-métrage, avec l’utilisation d’effets très racoleurs comme le split screen où cette surreprésentation du double que s’amuse à distiller le réalisateur français à travers des jeux de miroir. Le film est très visuel, il s’en dégage une imagerie très forte et évocatrice (notons le tout premier plan qui est une entrée en matière plutôt drastique) donnant parfois l’impression de n’être rien de plus qu’un exercice de style ou une esbroufe. Mais inéluctablement, en posant un regard plus analytique, il devient incontestable que nous avons en face de nous un metteur en scène en pleine maîtrise de son art et que ce qui est montré à l’écran n’a de sens que si nous acceptons que rien n’est évident et que tout est manipulation. De manipulation, il en est d’ailleurs question durant toute la durée du film et c’est là que Ozon se place en digne disciple hitchcockien. Il s’amuse à brouiller les pistes et à jouer avec le spectateur, nous plaçant constamment dans une situation inconfortable où l'illusion des images et donc du cinéma prend le pas sur le récit.
La psychanalyse, autre thème intrinsèque au long-métrage, qu’Ozon considère comme inhérent au cinéma, va s’exprimer à travers la sexualité comme une forme d’expurgatoire où le personnage de Chloé va s’adonner à des pratiques sexuelles pour se révéler à elle-même parfois pour le meilleur et souvent pour le pire.
Les explorations, les désillusions et les fantasmes de la jeune femme sont mis à nu dépeignant sa psyché et sa personnalité à double tranchant. Un portrait de femme tortueux, auquel Ozon apporte toute la sensibilité et la subtilité nécessaire pour créer l’identification et nous perdre dans les méandres de son esprit nébuleux et par la même occasion dans ceux de l’intrigue.
Il serait de mauvais goût de ne pas citer, enfin, les deux acteurs qui sont formidables, Vacth symbolisant l’innocence et la fragilité tout en imposant de par son regard un trouble à la fois affriolant et désorientant et puis Renier dans un double rôle à la fois prédateur et gendre un peu trop idéale qui séduit aussi bien qu’il effraye, à l’instar du film.