Depuis ses débuts, il y a maintenant plus de 20 ans, Laurent Cantet continue de creuser un sillon qui lui est cher : tel un entomologiste, il scrute ce qui se passe à l'intérieur des groupes humains, s'attachant tout particulièrement à tous ceux qui, dans ces groupes, cherchent d'une façon ou d'une autre à sortir de la case dans laquelle la société tend à les enfermer. Chez ce représentant important du cinéma français, les réussites sont nombreuses ("Ressources humaines", "L'emploi du temps", "Entre les murs", "Foxfire, confessions d'un gang de filles", "Retour à Ithaque") et les échecs très rares ("Vers le sud"). "L'atelier", son dernier long métrage, faisait partie de la sélection Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes.
C'est à La Ciotat, en plein été, dans un atelier d'écriture, que nous conduit Laurent Cantet. Un atelier mené par Olivia, une romancière réputée qui, sans doute en mal d'inspiration, est venue se ressourcer auprès d'une bande de grands adolescents avec qui elle va chercher à écrire un roman noir se déroulant dans la ville de La Ciotat. Une ville qui, grâce aux chantiers navals, avait une forte tradition ouvrière qu'elle a perdue à la fermeture de ces chantiers. Certes, depuis, une activité tournée vers les yachts de grand luxe a vu le jour, mais l'atmosphère de la ville n'est plus la même. D'où une coupure importante entre la génération qui, à La Ciotat, a connu les chantiers navals et les luttes menées pour retarder leur fermeture, et les jeunes d'aujourd'hui dont les problèmes sont tout autre : difficultés pour s'insérer, chômage, précarité, terrorisme, ...
Cherchant à faire participer tous les participants à cet atelier d'écriture, montrant de l'empathie envers tous ces jeunes, Olivia peut s'amuser à l'écoute de dialogues parfois très drôles entre les jeunes, genre "Même quand tu parles, tu fais des fautes d'orthographe", mais elle prend aussi de plein fouet les querelles verbales qui naissent à propos de Daech et qui voient les jeunes d'origine maghrébine se sentir stigmatisés. Il faut dire que, dans le groupe avec lequel elle travaille, il y a Antoine, un jeune manifestement mal dans sa peau, un jeune qui se cherche, qui passe beaucoup de temps sur des sites d'extrême-droite trouvés sur Internet et qui prétend avoir toujours voulu entrer dans l'armée. Avec lui, les remarques racistes ne sont jamais très loin ! Ce qui génère chez Olivia le désir de chercher à comprendre ce qui peut conduire un jeune d'aujourd'hui à cet extrémisme aux couleurs plutôt brunes.
Quand on sait que Robin Campillo a travaillé sur le scénario de "L'atelier" avec Laurent Cantet, sans doute à peu près en même temps qu'il travaillait sur "120 battements par minute", on n'est pas vraiment surpris de retrouver exactement la même construction dans ces deux films : une première partie consacrée aux groupes, le travail en atelier pour l'un, la peinture des AG d'Act Up pour l'autre ; une deuxième partie se focalisant sur la relation particulière entre deux individus, Olivia et Antoine pour l'un, Sean et Nathan pour l'autre.
Quand on sait que l'écriture du scénario de "L'atelier" a commencé peu avant l'attentat de Charlie Hebdo et s'est poursuivi peu après le Bataclan, puis que le tournage a eu lieu très peu de temps après l'attentat de Nice, on ne peut pas être surpris de l'importance des conséquences psychologiques qu'ont pu avoir ces événements sur les scénaristes, le réalisateur et les jeunes comédiens, issus d'un casting sauvage réalisé dans la région de La Ciotat. Si certaines scènes du film peuvent apparaître un peu artificielles, voire réalisées de façon scolaire, on ne peut qu'être conquis par le naturel de Marina Voigt, dans un rôle inhabituel pour elle, celui d'Olivia. Quant à Matthieu Lucci, l'interprète d'Antoine, il se sort plutôt bien du rôle difficile d'un jeune mal dans sa peau et au positionnement ambigu.