Troisième et dernier volet de la « trilogie du désir » de Luca Guadagnino, Call Me By Your Name marque l’apothéose d’une œuvre très critiquée mais audacieuse, complexe et intime.
Si le scénario du film est une adaptation du roman d’André Aciman, Plus tard ou jamais, publié en 2008, sa création est antérieure. Mais la recherche d’un réalisateur capable d’assurer une italianité indissociable du scénario se révèle être une étape difficile. Finalement, c’est Luca Guadagnino qui est choisi, bien que celui-ci ait initialement refusé. Achevé au début de l’année 2016, le script est ensuite validé par André Aciman, si enthousiaste qu’il n’hésite pas à déclarer que le scénario surpasse la qualité de son livre, et ce en dépit de quelques modifications dans la chronologie de l’histoire et dans son emplacement géographique. Malheureusement, le budget de production est fortement revu à la baisse lors des négociations de financement avec le ministère italien des Biens et Activités culturels du Tourisme, passant de 12 à 3,5 millions de dollars.
Pour réaliser cette adaptation, Luca Guadagnino ne cache pas l’inspiration et l’influence de certains cinéastes, tels que Jean Renoir et Eric Rohmer, figure emblématique de la Nouvelle Vague. Insistant sur l’aspect pédagogique et familial de son film, le réalisateur italien souhaite faire de son projet cinématographique l’éloge du désir naissant et de la découverte des premiers sentiments amoureux. Guadagnino a choisi les années 1980 en raison des identités sexuelles moins enfermées qu’aujourd’hui, refusant de cantonner son film dans le « genre gay » et préférant se concentrer sur la découverte de la sexualité d’un adolescent, qu’elle concerne les hommes ou les femmes, mais toujours fondée sur de sincères sentiments. De fait, Call Me By Your Name peut être interprété comme le parcours initiatique, la découverte de soi d’Elio, adolescent de 17 ans qui voit naître ses premiers émois dans le cadre idyllique d’une villa de Lombardie. Toutefois, malgré la sincérité et la gravité des sentiments, la romance qui voit le jour avec Oliver, un étudiant américain plus âgé et séduisant, s’incarne dans une forme d’innocence et de nostalgie volontairement installée par le réalisateur. Le cadre géographique et temporel de l’intrigue est essentiel et participe beaucoup à cette euphorie, un paradis perdu qui atteint son paroxysme lors de chaudes vacances d’été dans une demeure magnifique située dans la campagne italienne préservée. D’ailleurs, on imagine mal cette ébullition de sentiments dans un cadre différent de celui-ci, loin du monde et de ses préjugés, où les corps et les émotions peuvent se rencontrer et se découvrir.
Au moment de la conception du scénario, en 2015, Shia LaBoeuf est pressenti par Guadagnino pour participer au projet, puis est satisfait par ses essais, mais les producteurs préfèrent l’en écarter, potentiellement suite à ses récents problèmes judiciaires. Armie Hammer est le premier à rejoindre le casting après avoir réussi à attirer l’attention du cinéaste italien suite à sa participation au film The Social Network (2010). Mais la présence de plusieurs scènes de nudité a failli repousser définitivement l’acteur, avant que celui-ci ne soit rassuré et convaincu par Guadagnino, acceptant ainsi d’interpréter le troisième rôle homosexuel de sa carrière après J. Edgar (2011) et Final Portrait (2017). Quant à Timothée Chalamet, il est présenté au réalisateur qui, séduit par son aura, accepte de le recruter. Celui qui est aujourd’hui l’un des jeunes acteurs les plus talentueux n’a pas hésité à apprendre l’italien, la guitare et le piano pour entrer dans la peau de son personnage. Enfin, la présence de trois actrices françaises dans des rôles secondaires (Amira Casar, Esther Garrel et Victoire Du Bois) consacre l’hétérogénéité des langues et nationalités participant au projet et voulue par le réalisateur pour prôner la diversité, une notion au cœur du film. A ce titre, difficile de résister au charme ténébreux et envoutant de la sœur de Louis Garrel.
Bien qu’étant envisagé dans la région de Ligurie, au nord-ouest de l’Italie, c’est en Lombardie que le tournage se déroule, en mai et juin 2016. La beauté de décors naturels préservés et la mise en valeur d’un patrimoine historique et archéologique inestimable offrent une grande richesse visuelle et esthétique. La villa Albergoni est le principal lieu de l’intrigue, cocon caché dans la nature où peuvent s’exprimer les profonds sentiments d’Elio et d’Oliver.
Projeté pour la première fois en janvier 2017, Call Me By Your Name est salué par la critique et réalise des performances honorables au box-office : un peu plus de 300 000 entrées en France et des recettes mondiales atteignant 42 millions de dollars, soit plus de dix fois le budget de production. Nominé dans quatre catégories aux Oscars, dont ceux du meilleur film et du meilleur acteur pour Timothée Chalamet, le long-métrage parvient à être lauréat du meilleur scénario adapté. Aux Golden Globes, malgré trois nominations, aucun trophée n’est remis à Call Me By Your Name. De toute évidence, sa performance a été sous-estimée par les cérémonies officielles, en particulier celle de Timothée Chalamet, splendide et troublant dans ce rôle qui le révèle au grand public et lance sa carrière. Toutefois, le succès populaire est tel que Luca Guadagnino envisage désormais plusieurs suites pour développer l’évolution des personnages, avec les mêmes acteurs, sur le modèle de François Truffaut et de l’apparition du protagoniste Antoine Doinel dans cinq films, interprété à chaque fois par Jean-Pierre Léaud.
En conclusion, Call Me By Your Name développe une intrigue sensible et profonde, empreinte de sentiments et de sexualité, mais sans tomber dans la vulgarité. Les scènes de nudité sont tournées en prenant le parti de suggérer plutôt que de montrer, et la relation antagoniste entre un jeune adulte sûr de lui et expérimenté, et un adolescent à la découverte de ses sentiments et de son corps, légitime et renforce cette expérience initiatique. Le charme authentique et paradisiaque des décors naturels inscrit cette idylle dans un paradis coupé du monde et éphémère. Luca Guadagnino réussit ainsi l’exploit de conclure en beauté sa trilogie thématique démarrée huit ans plus tôt, avec un style arrivé à maturité et doté d’une sensibilité émouvante.