Un film que je n'attendais pas énormément pour tout dire, l'accroche dramatico-fantasmagorique sur le deuil semblait juste assez intéressante et le duo d'acteurs me plaisait sur le papier, en fait je craignais surtout de voir une pseudo romance plus ou moins niaise, dans le genre cliché du phénomène de Sundance & co, c'est à dire une jolie enveloppe bien creuse. Alors qu'au final pas du tout, A Ghost Story se révèle être une œuvre neuve sur bien des aspects, qui propose des choses, des idées de mise en scène, des émotions diverses, des bouleversements de registres, etc, bref une vraie surprise.
Au premier abord A Ghost Story semble s'intéresser au couple, c'est à dire à l'humain et à des sentiments simples, mais dans un climat au cadre en diapositive comme pour déjà évoquer le souvenir, un plan d'étreinte s'attarde entre Rooney Mara et Casey Affleck puis coupe sur une scène d'accident, en à peine 10 minutes le film passe déjà à autre chose, on pourrait se dire que tout cela serait prématuré, mais ce n'est en fait qu'un point de départ pour une longue traversée qui trouvera son sens. Notamment par la réalisation, où David Lowery paraît alterner entre la facilité et la totale inventivité pour mettre en image sa vision de la vie après la mort, j'ai souvent pensé au film The Presence vu il y a quelques temps, où un fantôme "hante" la maison de son ex femme, avec un degré intimiste assez inédit au cinéma, bien qu'ici on exclu le côté épouvante pour se concentrer exclusivement sur le regard du personnage de Affleck, couvert et perdu sous un long drap mortuaire. On a l'image du spectre caricatural de lugubres châteaux écossais qui cette fois traînera ses chaînes au fil d'un récit teinté de désespoir, revoir le visage de Mara, alitée, régurgitant sa tarte après s'en être empiffrée puis repeignant une poutre d'un blanc immaculé, jusqu'à son départ ; le laissant seul, un autre film commence...
Car jusque là l'histoire était assez attendue, celle d'une âme en peine résolue à vivre dans l'ombre de sa moitié et le regret éternel, que c'est finalement cette maison vide qu'il choisira de hanter en voyant débouler de nouveaux occupants, Lowery va alors s'amuser des registres au lieu que de s'installer dans une forme de marasme ambiant, et c'est plutôt bien vu car surprenant. Allant même jusqu'à pasticher les films d'épouvante à la Conjuring ou passer d'un ton résolument taiseux à une longue séquence de monologue pseudo métaphysique lors d'une soirée arrosée, mais le plus intéressant reste la mise en scène du temps qui passe, à la fois par le point de vue fantomatique du personnage que du montage parfois abrupte, rappelant d'un sens l'avant dernière séquence de 2001 l'odyssée de l'espace. C'est tout le côté cruel du récit qui ressort, comme par exemple lorsque entre deux plans le living room plein de vie et chaleureux passe à l'état de taudis poussiéreux, tout s'éteint, et au delà de la perte de l'être cher c'est aussi celle de l'espace-temps, jusqu'à encore une fois franchir les portes d'un autre film...
À ce moment précis la trame du long métrage nous donnes la sensation qu'elle peut aller très loin, quitte à partir dans un vagabondage infini jusqu'à ce que toute l'humanité disparaisse, d'un environnement à un autre où on ne saurait distinctement situer l'époque, de plus tout est plus grand et resserré, étouffant, jusqu'à atteindre un point de non retour, conformément au regard de Affleck dont nous nous sommes identifié. Regard vide d'un visage masqué qui n'exprime rien formellement mais qui implicitement en dit beaucoup, car il laisse place à une émotion à la fois abstraite et universelle, et mine de rien c'est assez fort, Lowery transpose cette enveloppe en chacun de nous. Et bien que la dernière séquence soit pour le coup assez prévisible la grammaire mise en place tout du long fait que la transcendance sous-jacente du film fonctionne en l'état, c'est même assez déroutant mais dans le bon sens du terme, car on avait d'ores et déjà accepté de se perdre dans ce voyage où passé, présent et futur se confondent et se confrontent, une certaine vision du purgatoire terrestre.
A Ghost Story est avant tout un film singulier, qui de prime abord ne paraît pas vraiment inventer quoi que ce soit mais qui au fur et à mesure installe une ambiance mélancolique, fascinante et introspective, je pense même que le spectateur pourra en retirer un sentiment différent, qui peut être de la tristesse, de la quiétude, de l'enchantement... ou simplement de l'ennui ; personnellement j'ai ressenti de la douceur, une douceur à la fois belle et terrifiante, plongé dans un conte post mortem à la quête ultime : revoir une dernière fois le visage de Rooney Mara.