Depuis 2007 et la sortie de "Rubber" qui fit l'effet d'un choc dans le petit monde de la critique avec l'avènement en plein désert californien d'un pneu tueur, Quentin Dupieux, homme-orchestre d'un cinéma qui n'appartient qu'à lui, fait l'objet d'une attention particulière qui lui amène comme autrefois à Jean-Pierre Mocky, des acteurs de premier plan intrigués par la construction nonsensique des scénarios de ses films qu'il écrit lui-même. Après Eric et Ramzy, les premiers à lui avoir fait confiance, Alain Chabat, Elodie Bouchez, Benoît Poelvoorde et Jean Dujardin ont souhaité frotter leur jeu à cet univers si particulier, mélangeant allègrement références cinématographiques, lieux, époques et obsessions diverses. Bien installé dans un créneau qu'il s'est construit en refusant les concessions comme d'autres avant lui devenus très célèbres tels Orson Welles, Luis Bunuel, David Lynch, Terry Gilliam ou encore Michel Gondry, Quentin Dupieux ne semble pas enclin à changer de cap pour satisfaire les producteurs qui lui proposeront fatalement quelques compromissions narratives afin de rendre ses films plus accessibles et donc plus commerciaux. Si quelques-uns ont voulu voir dans "Au poste !" un exercice de style mais aussi un début d'accommodement avec le système, on peut leur opposer la quasi totalité de la production comique actuelle qui n'arrive pas à la cheville de l'audace et de la cohérence narrative de ce "Garde à vue" (Claude Miller en 1981) complètement loufoque où un Benoit Poelvoorde très en forme (peut-être parce que Dupieux lui a conçu un accoutrement à mi-chemin entre le Steve McQueen de "Bullit" et le Belmondo de "Peur sur la ville") joue au chat et à la souris avec un quidam au look de "Village People", à mi-chemin entre une candeur confondante et une rouerie qui déjoue tous les pièges tendus par le commissaire Buron (Benoit Poelvoorde). De "Garde à vue", Quentin Dupieux a conservé l'unité de lieu et le nombre de personnages principaux avec Poelvoorde en lieu et place de Lino Ventura, Grégoire Ludig pour remplacer Michel Serrault et enfin Marc Fraize qui comme Guy Marchand joue le troisième larron intervenant lors d'une pause qui changera la face de l'interrogatoire. Chez Dupieux, la nonchalance et le débraillé viennent remplacer la nervosité et la tension qui rythmaient une garde à vue se déroulant une nuit de Saint Sylvestre. Toutefois la joute oratoire par des chemins encore plus biscornus que chez Claude Miller, aboutit à la même complicité entre les deux protagonistes qui prennent chacun un malin plaisir à déconstruire les propos et arguments de l'autre. Quentin Dupieux maitrisant parfaitement son sujet utilise avec délectation les incises comiques et surréalistes que lui autorisent la palette de jeu de ses trois acteurs (la fumée qui sort de la poitrine du commissaire, le gag sur le tic de langage contagieux : "C'est pour ça",...). Relativement court, le film évite de s'enliser dans les longueurs qui pouvaient le menacer, Quentin Dupieux concluant son film par un pied de nez intrigant sur la frontière parfois ténue entre réalité et fiction. Les amateurs du réalisateur qui commencent à être nombreux seront forcément impatients de voir où va le mener sa promesse jusqu'alors tenue de rigueur artistique.