Poste Apocalyptique...
« C'est un beau roman, c'est une belle histoire » chantait Fugain. Simple. « La vérité c'est la vérité, où est-elle ? » fredonnait-il avec le même entrain. Basique. Dans Au Poste, il ne chante pas tellement. Il déchante même. Peut-être parce que Fugain n’est qu’un non-sens. C’est pour ça. Un nom sans prénom, un Fugain sans Michel, un Michel sans Jeux Interdits. Fugain n’est pas Fugain. Il est ce nom propre devenu commun, ce « No Reason » rendu populaire. Des paroles en pensées, un peu comme une critique qui ne saurait point par où commencer. Peut-être par quelques vocalises ? Déjà fait. Un message à caractère non informatif ? Pourquoi pas. Préventif ? Fugain l’a fait, Dupieux aussi. Faisons comme l’oizo.
Ouverture prévention, inévitable conclusion : « Attention, mesdames et messieurs, […] tous les projecteurs vont s'allumer. Et tous les acteurs vont s'animer en même temps ». Tout est là. Adieu les vocalises, bonjour symphonie pastorale. Et pas n’importe laquelle. Celle de l’absurde, en folie douce. Le What The F**k est de mise. Que le voyage en absurdie commence. La tonalité est bonne, le « la » est donné : en slip et en convictions, le chef d’orchestre mène son non-sens à la baguette. Le concept s’impose, ou le public se barre. Radical. C’est pour ça. Il y a quelque chose de grandiose dans ce prélude sans raison, cette grande parade de « l’oizo moqueur ». Pas le temps d’admirer les nuages en coton. La Partie sera Bleue, dans un ton « flicaille ».
Un cadavre. Un suspect. Un interrogatoire. Simple jusque là. Rectiligne, pour dire autrement. Pourtant, Au Poste ne cherche pas à faire de l’ordinaire. Ou plutôt, il s’efforce à le démonter, à dérégler cette simplicité pour en changer le sens, la portée. Car Au Poste est une histoire d'allers-retours, ou plutôt de va-et-vient. De voisines voyeuses, et de corps à repasser. De cris de Douleur et de « Chabaterie » sur la ville. De réalités à travestir, et de géométrie fatale. C’est pour ça. Vous ne comprenez rien à ces assemblages de mots ? Tant mieux. Mieux vaut une bonne imagination qu’une seule explication. Des conjectures un peu inutiles au fond. Puisque le Poste est ce nouveau lieu du nulle-part. Irréel, sans époque, dérangé. L’ordre dans le désordre si vous voulez. Un monde où rien ne veut plus rien dire. Pas même le langage, et ses expressions. C’est pour ça.
Au service de le France, pays d’Audiard et de « Bebel », Dupieux (pour son premier film franchouillard) perpétue le règne de la réplique qui fait mouche. Musicalité des mots, un brin de causette, et voilà, le langage se fait non-sens. Il y a dans Au Poste cette impossibilité de communiquer la simplicité. C’est pour ça. Tout est louche, tout est normal, et tout est à redouter. Une œuvre sur la banalité dangereuse des choses en somme : normalisant le décalage pour le rendre « logique », Dupieux appuie sur le premier degré pour transformer l’anodin en une situation inhabituellement comique. Buffet Froid de Bertrand Blier n’est jamais loin : cette inversion des attentes, ces immeubles vides et austères, ce désenchantement dans le sérieux des visages, ces phrases assassines. Les intérieurs dérangent. Huis-clos, pas de soleil, juste la nuit, et son absurde silence.
Ubuesque, indéniablement. Des codes du polar, du Garde à Vue de Claude Miller, il ne reste que le principe, la ligne de départ : l’interrogatoire. La tête dans le brouillard, la moustache au bord des lèvres, Grégoire Ludig guide notre regard : il est ce spectateur léthargique, intrigué, perturbé et désorienté, face au trouble des situations. Le dernier acte en est d’ailleurs d’une vicelarde cruauté, mindf**k pour ne pas dire cauchemardesque : condamné à être ce personnage, ce suspect qui ne comprend rien, ce spectateur admirant un écran d’incompréhension. Et le mystère fût. C’est pour ça. Car tout se mélange dans la narration. L’écrit imbriqué se dactylographie à la manière du Magnifique. Les rêves sont contaminés par le présent, et les souvenirs sont en éveil. Jusqu’à une interrogation consciente par ses personnages de la qualité du récit qui est en train de s’écrire. Les vérités s’entrechoquent, se questionnent, sans se différencier ni même exister.
Chez Dupieux, les frontières n'existent pas : la réalité est une fiction, et la fiction une réalité. Cinéaste du « Pourquoi » sans réponse, il n’a jamais cessé de proposer une image d’un impossible cinéma. Perdre la logique pour mieux comprendre la vie tout compte fait. Pour le plaisir de l’amusement surtout, « une farce d’enfant bien trop intelligent pour son âge », dixit lui-même. C’est pour ça. Récréatif certes, mais Au Poste est un faux-film policier qui n’a pourtant rien de la singerie. Un film culinaire tout de même, où le suspect s’inquiète plus de sa faim que de sa possible inculpation. Il faut dire que pour déguster une huître chez Dupieux, mieux vaut avoir la dent dure, et fumer ses clopes par le ventre. C’est pour ça. Dans sa dimension théâtrale, il y aurait davantage du Père Noel est une ordure. C'est fin, c'est très fin, ça se mange sans faim. Splendide, très certainement.
Personne n’est innocent, personne n’est coupable, tout le monde joue le jeu. Il serait donc étonnant de ne pas voir dans Au Poste une propension à la mise en abyme. Une logique qu’il ne cesse de reprendre depuis son Non-Film, et d’exploiter jusqu’à ce que le rideau tombe. Ceci n’est pas une critique. Le mécanisme a été digéré, Le charme discret de la bourgeoisie nous y avait préparé. Il y a cette idée de mise en scène de l’existence, de la banalité de la vie. Un peu comme chez Charlie Kaufman, où des personnages peuvent cohabiter avec leurs doubles comédiens, dans une maquette théâtralisée de leur quotidien (Synecdoche, New York). L’absurde n’est là que pour faire confronter les individus à leur propre désillusion. La causerie a tout de même le mérite d’être plus abordable. Car oui, le non-sens s'est popularisé. Il a trouvé sa voie, un sens si l'on veut. L’absurde n’est plus tout à fait le même, il a viré de bord. Par touches, tout en ponctualité.
Les genres continuent à s’emmêler, et de nouvelles têtes s’y mêlent. Casting presque improbable, et pourtant harmonieux : clope au bec, Poelvoorde s’emporte, Anaïs Demoustier dénote, et Grégoire Ludig attache. Néanmoins, Marc Fraize rutile, incorruptible et implacable (si ce n’est par lui-même), sortant son talent du placard par la gêne du non-dit. C’est pour ça. Garde à l’œil, garde à vue, qu’importe. Au Poste est une œuvre d’équerre, un triangle à angles droits, et un meuble de plaisanteries dont on ne cesserait jamais d’ouvrir les tiroirs.
Un peu comme nos confrères fictifs du « Figarock », nous aurions tendance à dire que « Tout est génial, tout est poussif » dans Au Poste. On retiendra surtout le génial. Dire que Dupieux s’essaye à du « Buñuel audiardisé » ne serait commode que pour la prétention de la formule. Classe, propre et sans bavure. Une formule gagnante aussi efficace qu’un couteau dans un ventre comme un lavabo qui se vide. Préférons-y le fer à repasser comme arme du crime. Dans l’épure, la chaleur intérieure et la simplicité, s’ordonne le désordre d’une entrevue bien huilée : du surréalisme dans la banalité, intelligible, et aux dialogues ciselés. Au Poste, nouvelle perle d'absurde par Quentin Dupieux, fait passer la comédie en garde à vue, questionne la (il)logique des affaires policières, là où le comique se travaille en illusions et en "non-film". Comédiens formidables, complexité maîtrisée, humour décalé. Un cinéma marginal populaire et accessible. C’est pour ça, on aurait tort de s’en priver. Comme une moutarde à l’ancienne qui se serait découvert un penchant pour la sauce Samouraï.
Critique à lire également sur Le Blog Du Cinéma (c'est mieux, y'a des photos).