J'ai entendu parler de ce film grâce à un groupe de musique. Il s'agit de Year of no light, un groupe bordelais de post-metal à renommée mondiale. En effet, YONL a posté un message sur sa page Facebook pour annoncer que le groupe faisait partie de « la (très) cool BO » du film Jessica Forever, réalisé par Caroline Poggi et Jonathan Vinel.
Bien que ni le speech ni l'affiche du film ne m'aient donné envie de le voir (l'affiche laisse à penser qu'il s'agit d'un film d'action, genre cinématographique dont je ne suis absolument pas fan), j'y suis quand même allé. Par curiosité. Et je ne suis pas déçu !
Dans une France dystopique, les orphelins sont des parias. Rejetés par la société, ils doivent voler, squatter, piller, et tuer pour survivre. Ils n'ont pas d'autres choix que de devenir des monstres. Nuisibles, l'État souhaite les éradiquer. Il utilise une armée de drones-tueurs pour les traquer.
Une femme, Jessica, a décidé de venir en aide à ces jeunes, devenus criminels par la force des choses. Elle va à leur rencontre et les prend sous son aile. Elle essaye de canaliser leurs peurs, leurs doutes, de leur offrir de la nourriture, un toit, une famille, de l'affection et surtout une seconde chance.
Mais, a-t-on droit à la rédemption quand le quotidien nous rappelle sans cesse à notre passé ?
Ces monstres ont beau être musclés et virils, ils n'en sont pas moins sensibles. Malgré les crimes qu'ils ont commis, ils paraissent naïfs et innocents. Ils parlent parfois comme des enfants et, comme ces derniers, ils ont besoin de s'extraire des règles du monde (des adultes qui cherchent à les exterminer) pour exister, être heureux.
Ils sont pudiques mais se confient et trouvent du réconfort auprès de Jessica, qu'ils adorent.
Soeur ou mère, je ne sais pas vraiment ce qu'elle représente pour eux. Quoiqu'il en soit, Jessica semble être la plus mûre. Elle pose un cadre pour cette (sur)vie en communauté, leur impose des rituels tels que la sieste ou les entraînements, qu'ils respectent sans broncher. Parce que vivre ensemble, c'est exister.
Jessica pense que l'amour est le remède qui sauvera sa famille de coeur. Mais le spectre de l'amour est très large : il peut être le plus beau des cadeaux ou bien un mal incurable.
Ce film m'a fait penser au titre de l'unique album d'un autre groupe bordelais, "Notre Amour Est Assez Puissant Pour Détruire Ce Putain De Monde" de Metronome Charisma, qui entre en résonnance avec l'univers de Caroline Poggi et Jonathan Vinel.
Je ne serais même pas surpris d'apprendre que le couple de réalisateurs connaisse ce groupe d'emocore chaotique qui sévissait il y a quinze ans, parce que le quatuor partageait deux de ses membres avec Year Of No Light, et parce que, à entendre la BO de Jessica Forever, je suis persuadé qu'ils kifferaient.
La bande originale est composée presque exclusivement de musiques et chansons pré-existantes. On y retrouve le doom metal des états-uniens de the Body et Krieg, la musique ambiante de Jesu (alias Justin K Broadrick), le titre "Désolation" de YONL (extrait de leur album "Tocsin"), la musique classique post-moderne sophistiquée de Vanessa Amara (pseudo féminin trompeur d'un trio danois masculin), Jonatan leandoer127 (artiste touche-à-tout plus connu sous le pseudo Yung Lean, qui chante justement ici que "quand [il] aime, [il] aime trop"), le contre-ténor britannique Alfred Deller, le compositeur anglais Henry Purcell, les productions électro de Simon Haydo, Ulysse Klotz et A. G. Cook ainsi qu'une musique composée pour le film par le co-réalisateur Jonathan Vinel (avec l'aide de deux des acteurs Florian Kiniffo et Ymanol Perset).
Ces morceaux sonnent terriblement bien au cinéma ! Ça fait plaisir d'entendre un peu de métal dans les salles obscures. Mais la musique n'est pas là que pour faire jolie, elle sert surtout la narration. Comme je le disais plus haut, les garçons sont réservés et la musique permet notamment de dévoiler ce qu'ils ressentent mais gardent pour eux, ou leur état d'esprit.
Il faut savoir que la bande originale du film n'a pas été sélectionnée par une tierce personne mais bien par les deux réalisateurs. C'est au moment du montage qu'ils ont testé l'impact d'une centaine de fichiers musicaux qu'ils aiment sur les scènes de leur film. C'est aussi simplement que ça que la BO de Jessica Forever a été compilée.
Caroline Poggi et Jonathan Vinel proposent un imaginaire façonné par les jeux vidéo. Depuis toujours, les jeux vidéo leur permettent de voyager, d'explorer de nouveaux mondes, de s'évader ou tout simplement de rêver.
La narration de Jessica Forever est influencée par les histoires racontées dans les jeux vidéo. Même les personnages du film en sont inspirés : Jessica a des traits communs avec Quiet (personnage féminin de Metal Gear Solid 5) et le personnage de Raiden emprunte son nom et la pratique du katana au personnage éponyme issu de MGS 2, pour lequel Jontahan Vinel avait ressenti, enfant, un choc esthétique.
Les drones-tueurs futuristes font également penser au milieu vidéoludique, d'ailleurs leur modélisation en 3D m'a bluffé !
Les réalisateurs ont choisi de tourner avec des caméras numériques. Le rendu est hyper-réaliste et les cadrages sont somptueux.
Les effets spéciaux, plutôt réussis, apportent la touche fantastique qui sublime le conte dramatique de Jessica Forever.
Concernant les acteurs, tous ne sont pas des professionnels. La plupart n'avaient même jamais mis les pieds sur un plateau de tournage. Les metteurs en scène ont préféré choisir des acteurs et actrices aux personnages, dans l'attitude, le caractère, l'aura qu'ils ou elles dégagent. Par conséquent, la voix off de Maya Coline sonne faux et certains acteurs n'articulent pas très bien mais ce sont des atouts de charme, et ils me confortent dans l'idée que le film repose en partie sur l'éthique DIY, à la façon des cinéastes de la Nouvelle Vague. (Par exemple, le toit sur lequel Jessica est assise sur le premier plan du film est celui de la maison de Jonathan Vinel.)
En tout cas, c'est un plaisir de retrouver Lukas Ionesco et Paul Hamy (dans le rôle de Rayden), de découvrir Aomi Muyock (en amazone moderne) ou de croiser Iliana Zabeth (en vendeuse de glace).
Je n'ai définitivement pas été déçu par ce drame fantastique, bien au contraire. Jessica Forever possède un univers unique qui fait fi d'un budget restreint pour se donner les moyens de ses ambitions.
Depuis la scène finale jusqu'à plusieurs minutes après être sorti de la salle de projection, j'ai eu des frissons sur les bras et les jambes.
Le premier long métrage du couple Poggi-Vinel aura certainement autant de détracteurs que de fans mais, comme le personnage de Jessica, il a beaucoup à offrir à quiconque souhaite faire partie de la famille des adeptes de Jessica Forever.