Si le film a été tourné en langue arabe et en Afrique du nord, le réalisateur, Tarik Saleh, est citoyen suédois, né en Suède, et un observateur avisé aura tôt fait de repérer quelques différences avec les productions purement égyptiennes, comme celles de Mohamed Diab. Quoique pensé comme une plongée dans les entrailles du Caire, on n’y découvre par exemple aucune trace de la religion et des Frères musulmans, que les réalisateurs locaux ont systématiquement le souci de ménager. Le film relate, fut-ce en changeant les noms, l’assassinat de la starlette libanaise Suzanne Tamim, pour lequel un membre haut-placé de l’appareil gouvernemental égyptien fut condamné à une lourde peine de prison en 2009...et ça, aucun réalisateur égyptien n’aurait eu la possibilité ou la liberté de le faire, quand bien même cette affaire criminelle remonte à l’ère Moubarrak. Enfin, la structure du film elle-même diffère des habitudes du cinéma égyptien et s’avère beaucoup plus proche des normes européennes ou américaines, ce qui fait de ‘Le Caire confidentiel’ un parfait spécimen de Film Noir, situé dans un contexte atypique : reprenant à son compte, et très correctement, les figures imposées du genre (le flic torturé, la femme fatale, l’assassin silencieux,...), le réalisateur fait également de la ville, et plus précisément de sa facette nocturne et interlope, un personnage à part entière du récit. On découvre avec intérêt la géographie urbaine de cette métropole tentaculaire, ses avenues animées et ses bidonvilles, ses recoins obscurs et ses quartiers huppés : à vrai dire, on ne soupçonnait pas qu’une ville comme Le Caire, à laquelle on associe plus volontiers les concepts de circulation chaotique, de poussière et de chaleur écrasante, puisse être aussi cinégénique et à l’épreuve d’un polar moderne. Bon, pour être tout à fait précis, il ne s’agit pas exactement du Caire mais de Casablanca, les autorités égyptiennes ayant refusé les autorisations de tournage à un film qui fouinait un peu trop dans les secrets inavouables de la société cairote (mais franchement, on n’y voit que du feu !) : ‘Le Caire confidentiel’ dresse effectivement le portrait d’une société inégalitaire et hypocrite, où la richesse permet de s’affranchir de la morale et surtout, d’une société totalement corrompue, des plus hauts sommets de l’Etat jusqu’à ses plus modestes représentants. Le désarroi exprimé par l’inspecteur de police lorsque ses investigations se heurtent à un plafond de verre est donc assez ironique puisque lui-même, à petite échelle, souscrit pleinement à cette corruption “culturelle”, quelques billets lui permettant de contourner la règle lorsqu’il les offre, ou de fermer les yeux sur celle-ci lorsqu’il les reçoit. Mais après tout, les vices humains qui gangrènent les sociétés sont aussi des caractéristiques du Roman Noir, et sa version orientale, moderne et cinématographique aurait pu être écrite par Raymond Chandler ou Dashiell Hammett en visite aux pyramides.