Naomi Kawase perpétue l'une des deux traditions japonaises, celle d'un cinéma contemplatif, introverti, lent, poétique, où la présence de la nature est très forte, où la parole est rare.... L'autre tradition, c'est au contraire celle du cinéma flamboyant à la manière des Kurosawa, Kurozawa l'ancien, le maître, mais aussi Kurozawa le jeune en plus gore, en plus "coréen" en somme.
Vers la lumière est certainement le film le plus ardu de Naomi Kawase. Il traite de l'obscurité et de la lumière, du présent et de la mémoire, du réel et de l'imaginaire.... avec subtilité mais aussi un certain hermétisme. D'une façon plus terre à terre, il traite de la cécité, de la vision des non-voyants, et de la façon dont les voyants interprètent cette vision.
Misako (la ravissante Ayame Misaki dont le charme ferait fondre un iceberg!) est audio-descriptionniste. Elle "raconte" les films qui seront projetés à l'usage des aveugles. Evidemment, la mise au point de ce texte n'est pas simple: elle se fait progressivement avec un groupe de non-voyants. Misako n'en dit pas assez; puis, Misako en dit trop: il n'y a plus de place pour l'imagination. Mais que peuvent imaginer ceux qui sont aveugles de naissance? Qu'est ce que cela dit pour eux, la mer, une dune (ils peuvent toucher le sable, la vague) et surtout les nuages, ces merveilleux nuages impossibles à appréhender. Quelles représentations peuvent bien tourner dans la tête d'un non-voyant? Cet aspect du film m'a passionnée, parce qu'elle m'a amenée à réfléchir sur cet aspect des choses....
Petit à petit, d'ajouts en retraits, le texte se met en place. Mais dans le groupe, il y a Masaya (Masatoshi Nagase) dont l'attitude est agressive. Il était photographe, et même un photographe coté; une maladie dégénérative lui fait perdre la vue.
Au début du film, il lui reste une très petite part de champ visuel, à la fin: plus rien.
Il s'accroche à son vieux Rollex, continuant à photographier des sujets qu'il ne peut plus mettre au point, pour retenir, pour garder, quelque part, des images... Misako,
qui dans sa vie privée est très seule (son père est mort, sa mère s'enfonce dans la démence)
est blessée par cette hostilité, et attirée en même temps par cet homme si différent.
Le film dans le film lui même n'est pas très gai: réalisé par un très vieux metteur en scène (Tatsuya Fuji), il parle du dernier amour d'un vieil homme qui à la fin du film, gravit péniblement une dune pour voir le soleil disparaître derrière l'océan....
C'est un film qui se mérite. Qui s'adresse à ceux qui considèrent que le cinéma est un art exigeant.