Le film d’Adam McKay, qui ne dure pas moins de 2h15, est une sorte de petit OVNI cinématographique. Dans sa forme, Mackay tord le cou au biopic classique en en faisant exploser tous les codes. La narration est chronologiquement complètement éclatée, à l’image de son très long pré-générique qui mêle des scènes de 1963 (ou Dick Cheney est un redneck sans avenir) et celles du 11 septembre 2001 o
ù il prend des décisions qui outrepassent clairement ses prérogatives
. Mackay propose un long métrage qui flirte avec le faux documentaire : une voix off omniprésente, des scènes iconoclastes qui apparaissent subitement sans explication évidente, des métaphores, des allégories, des images d’archives, le tout parsemé d’un humour grinçant que ne renierait pas un Michael Moore. Dans sa forme, il n’y aucun doute que le film d’Adam Mackay est une réussite car de chaque scène, même anecdotique, il y a quelques chose à comprendre, à deviner, à interpréter. De son très long prégénérique aux images qui illustrent son générique de fin, il y a toujours un sous-entendu, un petit détail à chopper. En bref, dans « Vice », il n’y a rien de gratuit. Le film de plus de 2h20 est d’une telle densité qu’on ne voit honnêtement pas le temps passer. C’est souvent drôle, c’est vrai, mais d’un humour noir et désespéré. Le montage rapide et inventif du film lui apporte une vraie plus-value, le ton décalé de la voix off (on peut la trouver envahissante parce qu’on comprend tard sa justification), la qualité indéniable des dialogues ajoute à « Vice », là encore, du cachet. Parfois, le ton est tellement décalé qu’on se croirait presque dans une parodie ! On peut parler d’un biopic, forcément, mais c’est un biopic particulier, complètement à charge. « Vice » est un film engagé, pour ne pas dire un film militant. Il remet en perspective l’histoire récente des Etats-Unis, de l’administration Nixon où Cheney fait ses armes et se forge des convictions jusqu’à la guerre en Irak, son obsession avant même son accession à la VP. La légèreté avec laquelle Dick Cheney manipule la vérité, les vies humaines, les lois, la Constitution, cela à un nom, ça s’appelle le cynisme. Au moins, on peut lui accorder qu’il aura été en avance sur son époque de ce point de vue là, vu qu’aujourd’hui le cynisme est presque devenu une qualité politique, la toute dernière scène du film en étant l’illustration parfaite. Certes, le scénario de « Vice » ne fait pas dans la dentelle, pas plus que « Fahrenheit 9/11 » ne faisait dans la dentelle (la parenté entre les deux films saute aux yeux) mais ça ne me pose pas de problème. « Vice » n’avance pas masqué, on sait dans quoi on met les pieds, il s’agit ici de frapper fort, très fort, quitte à faire quelques fissures à la marge. Dick Cheney ayant toujours été un personnage très secret, un vice-président qui n’a quasiment pas laissé d’archives (ce que j’ignorais), il a fallu aux scénaristes creuser, investiguer, broder peut-être un peu, supposer parfois, voire peut-être, c’est vrai, éventuellement exagérer à la marge. Mais quelque chose me dit que même en cognant si fort et un peu petit-être à l’aveugle sur la vice-présidence Cheney, le film ne manque malgré tout pas la cible. Parfois, il suffit juste de se demander à qui profite le crime, tout bon amateur de polar et de faits divers sait cela ! « Vice » ne serait pas une réussite sans un casting à la hauteur et ils sont 4 à tenir le haut du pavé. D’abord Amy Adams en épouse à forte personnalité. Son personnage parfaitement croqué et parfaitement interprété, vient illustrer l’adage comme quoi derrière chaque grand homme il y a une grande femme et que derrière chaque sale type, il y a souvent une sale bonne femme ! George W Bush, c’est Sam Rockwell qui lui prête ses traits. Au milieu de ce repaire de faucons et de va-en-guerre, son personnage apparait d’emblée comme le personnage le plus inoffensif de tous, mal à l’aise dans un costume mille fois trop grand pour lui, trop occupé à « tuer le père » pour gouverner. C’est déjà comme ça que le film « W. » d’Oliver Stone le dépeignait, d’ailleurs. Steve Carell, quant à lui, donne corps à un Donald Rumfeld haut en couleur, vulgaire, sans finesse mais terriblement déterminé et dangereux. Steve Carell, mine de rien, est à deux doigts de voler la vedette à Christian Bale sur ce coup là ! Bale, lui, est méconnaissable en Dick Cheney. Tout d’abord pitoyable et mal dégrossis, son esprit s’affine au fur et à mesure que son tour de taille augmente. Il fait de la politique comme on joue aux échecs, avec toujours plusieurs coups d’avance. Cela fonctionne du tonnerre, jusqu’au moment où cela ne fonctionne plus, puisque au bout du bout, le système finit malgré tout par le neutraliser.
Les dernières barrières morales qu’il avait, concernant sa fille cadette Mary, finissent par tomber, certes tardivement, mais elles tombent malgré tout dans une illustration ultime de proverbe « La fin justifie les moyens ».
Ce proverbe semble avoir régit toute sa vie politique, et son discours final enfonce définitivement le clou. Ce discours, qui met le citoyen américain devant ses responsabilités (« J’ai fais ce que j’ai fait parce que vous m’avez élu, c’est ce que vous avez voulu ! »), est la dernière bonne idée d’un film qui en aura eu, dans le fond comme dans la forme, des dizaines. « Vice », à bien des points de vue, est un film qui a bien des vertus !