A peine sorti de l’enfance et de la forêt des rêves bleus, Jean-Christophe a bien morflé : il a perdu son père, été envoyé au pensionnat, fait la guerre et s’est adapté à une impitoyable logique capitaliste jusqu’à frôler le point de rupture. Bref, il a oublié tout ce que ça signifiait, d’être un enfant, et d’avoir du temps pour rêver et ne rien faire...et ce sont ses peluches d’autrefois qui vont devoir le lui rappeler. Le concept n’a rien d’inédit : il y a une trentaine d’années, ‘Hook’ avait fait le même pari scénaristique, celui d’un adulte engoncé dans son sérieux et ses valeurs de réussite qui doit réapprendre à vivre et à définir ses priorités au contact de l’univers magique de ses jeunes années. Ce qui est curieux, c’est que dans le cas de “Jean-Christophe et Winnie’, on dirait qu’il y a deux films condensés en un seul : dans ses prémices, on a droit à un adieu poétique à l’enfance, un exposé prosaïque des contingences du passage à l’âge adulte, et un retour contrarié aux terres imaginaires d’autrefois, que l’abandon a rendues lugubres et inquiétantes. Cette section, qui dure trois bons quart d’heure, ne contient quasiment aucune fausse note : elle est même émouvante, quand on établit son propre bilan comptable des renoncements et des abandons consentis pour “cadrer” avec l’environnement...et, en regardant le film avec des enfants qui ne comprennent pas pourquoi on n’aperçoit toujours pas Bourriquet, Tigrou ou Porcinet, on en vient à se demander si on ne regarde pas plutôt un film “sur” l’enfance qu’un film “pour” enfants. Ensuite, le film change radicalement de ton, et plonge dans un schéma beaucoup plus prévisible, avec un retour à l’humour et à la fantaisie animalière pour terminer par un final sur les chapeaux de roue dans les rues de Londres : on a vu exactement la même chose (en mieux) dans ‘Paddington’ et dans ‘Pierre lapin’ : du coup, adultes et enfants auront chacun leur moitié de film préférée ! C’est certain, quitte à faire dans la mignonitude vintage (oh allez, ne venez pas me dire qu’il vous est impossible de ressentir la mignonitude de l’univers de Winnie l’ourson…!), on aurait peut-être préféré de vrais peluches claudiquantes en stop-motion, plutôt que de petites merveilles numériques auxquelles ne manquent aucun grain de poussière ni touffe de poils défraîchie. Au moins, aucune modernisation abusive n’a-t-elle été tentée, le caractère des personnages a été respecté et les saillies philosophiques naïves de l’ourson, le seul à avoir conservé son doubleur original dans la version française, sont toujours aussi attendrissantes. Que vous soyez à la recherche d’un chouette film pour enfants, ou d’un chouette film pour retomber en enfance, ‘Jean-Christophe et Winnie’ s’en tire plutôt bien sur les deux tableaux.