Le résumé du dernier film d’Yvan Attal fait moyennement envie sur le papier, on a l’impression d’avoir déjà vu mille fois de genre de trame scénaristique au cinéma : la jeune personne débutante (mais pleine de promesses) qui est prise en main par un pygmalion, les rapports sont tendus, les clashs se succèdent, le découragement guette et pourtant, la jeune recrue laisse exploser son talent dans une scène finale époustouflante (« Flashdance », « Whiplash », etc…). Pourtant, l’idée d’un film qui fait la part si belle à la parole, aux mots, au langage, m’était immédiatement sympathique. Yvan Attal livre un film assez court, dense, qui passe tout seul et pendant lequel on ne s’ennuit absolument jamais. Beaucoup d’humour, beaucoup de tendresse, énormément de pertinence surtout, à l’image de son générique de début où se succèdent des extraits d’interviews des artistes et/ou écrivains amoureux des mots. D’emblée on se dit que le film part bien et on ne se trompe pas. Rythmé comme il faut, Attal réussit un film qui était pourtant terriblement risqué. Comment évoquer le racisme, et notamment le racisme anti-arabes dans un film sans tomber dans le piège multiforme du cliché, du second degré mal compris (dans une société française qui ne comprend plus que le premier degré !) et de la caricature. Ce n’est pas la première fois qu’il explore les limites assez audacieusement (« Ils sont partout ») et il me fait l’impression d’un funambule qui glisse sur son fil sans jamais tomber, sans même jamais vaciller. Mais pour réussir, il lui fallait deux comédiens capables de donner corps à des personnages compliqués, et notamment celui de Pierre Mazart. Daniel Auteuil, dont la filmographie parle toute seule, réussit à incarner un homme franchement détestable mais jamais totalement détesté. Le racisme de Mazart est un racisme de provocation, c’est un misanthrope bouffi d’orgueil qui n’aime rien de mieux que d’humilier la jeunesse, de conspuer l’air de temps, de se poser en victime (alors que c’est précisément ce qu’il reproche aux autres. Le pouvoir des mots c’est ça, il l’incarne à lui tout seul, il est détestable, mais il parle bien, il sait manipuler la rhétorique, il emporte le morceau de cette façon : peu importe le fond, la forme est tellement efficace ! Le personnage de Mazart, plus encore que celui de Naïma, c’est l’incarnation du titre du film « Le Brio ». Camélia Jordana, quant à elle, montre encore une fois qu’elle a un sacré avenir d’actrice devant elle. Mine de rien, cette jeune femme belle, maline, bourrée de talent (et qui m’a l’air absolument délicieuse dans la vie, si j’en crois l’impression qu’elle donne en interview) fait son petit bout de chemin dans le cinéma français, en choisissant ses rôles avec soin, sans céder à la facilité. Parce qu’il n’est pas très évident, le rôle de Naïma. Elle aussi a du chemin à parcourir pour sortir du cliché dans lequel le système l’enferme. Camelia Jordana est charismatique, elle laisse exploser cette qualité dans « Le Brio ». Petit bémol : les seconds rôles, très effacés, peu écrits, on aurait aimé parfois que certains soient plus ou mieux mis en valeur. Le rôle un peu ambigu de Benjamin n’est pas assez fouillé pour que l’on comprenne bien ses motivations, celui de Moudir aurait pu prendre un tout petit peu plus d’épaisseur. Mais c’est un petit bémol sans conséquence car le scénario du « Brio » est suffisamment bien écrit pour que l’on ferme les yeux sur ce petit défaut. Forcément, un film sur l’éloquence doit être écrit et dialogué avec soin, c’est quand même la moindre des choses. Ici, les dialogues sont pointus, les mots sont choisis avec soin, les répliques sont percutantes. Les comédies françaises ayant une fâcheuse tendance, ces dernières années, à saccager leurs dialogues pour faire « moderne », cela fait un bien fou d’être devant un film qui cisèle la langue comme un ébéniste cisèle un beau meuble en bois. J’en ai appris plus sur la rhétorique et l’art de la persuasion dans « Le Brio » que devant n’importe quel « court movie » (= film de tribunal) français ou étranger. Attal et ses deux scénaristes (Yaël Langmann et Victor Saint-Macary) ont le bon gout de ne pas céder au happy end auquel on fait semblant de croire pour privilégier une fin plus amère, plus nuancée, plus réaliste aussi. « Le Brio » n’évoque pas que les mots et le langage, il évoque aussi et surtout le déterminisme social, le choc des cultures et le personnage de Naïma, qui réussit par l’intelligence et le travail, est aussi attachant qu’il est exemplaire, malgré ses erreurs, ses défauts, ses failles. On s’attendait à s’attacher à elle, ce à quoi on ne se s’attendait pas, c’est s’attacher aussi à lui, ce prof de fac imbuvable et cynique, prétentieux et enivré de sa propre culture. Qui a fréquenté un peu les amphis de fac sait que la scène de début est malheureusement assez réaliste. Attal a bien capté ces ambiances particulières : Ces amphis bouillants, à fleur de peau, où se côtoient les applaudissements et les sifflets, qui peut se révolter contre des profs à tout moment, ça m’a rappelé quelques souvenirs. Attal réussit « Le Brio » avec brio, il propose un film casse-gueule qui ne se la casse jamais, la gueule, il nous offre surtout un film intelligent qui met en scène deux acteurs de talent, au service de dialogues soignés : un petit moment de cinéma de grande qualité.