Il n’est pas étonnant que les fantômes du passé continuent de nous hanter, quitte à suggérer des défaillances notables dans un système judiciaire, qui ne tient qu’à la définition d’un homicide. C’est ce que l’écrivain et avocat Ferdinand von Schirach soutient, dans un élan dramaturgique suffisamment bien reporté par Marco Kreuzpaintner, afin que l’on ne manque pas une miette. La leçon d’histoire commence ainsi, par un acte violent, dénué de toute émotion et pourtant, dans cette indifférence réside une colère, une colère si sombre et si bien entretenue qu’elle aura fini de consumer l’auteur du crime, avant même qu’il puisse jouir d’un véritable sentiment de justice. La barrière est donc mince entre deux époques distinctes, qui se répondent par des lois, sortes de testaments qui ont pu dissimuler un effroyable scandale dans l’auditoire du tribunal.
Nous plongeons ainsi dans une réflexion, qui oppose la morale et des lignes juridiques, qui ne protègent finalement personne. Que l’on soit la victime ou le bourreau, il n’y a aucune célébration à l’arrivée. Le récit aura alors l’élégance d’investir le spectateur comme juré, dans un procès qui peut le dépasser et qui doit le surprendre, au même rythme que les langues se délient. L’italien Fabrizio Collini (Franco Nero) a mis le pied en Allemagne pour mettre fin à la vie d’un Hans Meyer (Manfred Zapatka), que l’on associe à la paternité vertueuse. Pourtant, quelque chose cloche assez rapidement et l’absence de réaction ou le silence répété de l’accusé deviennent pénible pour l’enquête, qui rebondit sur un cadavre défiguré. L’avocat commis d’office pour sa défense n’est autre que le jeune et ambitieux Caspar Leinen (Elyas M'Barek), dont on devine assez rapidement le manque d’expérience et un statut social qui lui vaut plus de moqueries que de signes d’encouragement dans une affaire qui semblerait toute cuite.
L’Histoire aura donc son mot à dire dans cette quête à la vérité, mais il ne saura pas toujours trouver la meilleure démarche cinématographique pour animer un débat entre le spectateur et l’appétit de Caspar, qui remplit également la fonction d’enquêteur aguerri. Et ce n’est pas seulement au détour d’archives post-Seconde guerre mondiale qu’on marquera des étapes. Cette affaire fictive met un point d’honneur à rouvrir la cicatrice des atrocités nazies, comme un devoir de mémoire et un devoir de juriste, qui aspire à la partialité du jugement. La caméra étant essentiellement posée sur le jeune avocat et son clan, il sera difficile d’évaluer le mal qu’il combat au tribunal. Chaque nouveau dossier appelle un autre secret, qui appelle une nouvelle atrocité commise par celui que l’on croyait innocent. Mais la vérité, c’est que nous le savions déjà, avant même que le procès ne commence et surtout avant même les plaidoiries.
« L’Affaire Collini » (Der Fall Collini) aura des choses à nous apprendre, mais gaspillera une grande part de notre attention, notamment autour des personnages secondaires, notamment Johanna (Alexandra Maria Lara) la petite-fille de Hans. Il y aura si peu à analyser de son côté et c’est pourtant la raison pour laquelle nous sommes convoqués devant tant d’injustices. La mise en scène esquisse de beaux portraits, mais ne nous emporte pas assez, contrairement au lot d’informations, qui suffisent à maintenir notre attention jusqu’au bout du procès. Le reste du temps, la musique de fond continuera d’insister sur le décryptage du non-dit et de la culpabilité rétroactive, à tort. Le film ne se repose jamais assez sur la subtilité ou le doute, chose exige évidemment d’être clarifiée dans un tribunal, mais qui noie l’expérience sensorielle comme un outil de prescription.