Je n’attendais pas grand-chose du film de Nisha Ganatra, c’est vrai. Peut-être espérais-je en apprendre un peu plus sur ces fameux Late Show américain que l’on est incapable de reproduire ici. Ces véritables institutions de la TV, avec à leur tête des Stephen Colbert, des Jimmy Fallon, des David Letterman et autres Jay Leno, nous sont inconnues en France, ainsi que leur mode de fonctionnement, leurs codes et leur ton irrévérencieux. Le film de Nisha Ganadra aura au moins cette qualité, nous faire entrer un petit peu dans ce monde particulier, où des armées de types sont payés dans l’ombre pour écrire des blagues au kilomètre sans jamais connaitre la reconnaissance. Si « Late Night » se laisse voir sans aucun déplaisir, c’est qu’il n’est ni trop court ni trop long, rythmé comme il faut, pas trop bavard et assez drôle. Je dis « assez » drôle car c’est visiblement difficile de sortir les blagues des Late Show américains pour les transposer sur grand écran, elles ont l’air de mal voyager entre les deux supports, je ne sais pas pourquoi. C’est honnêtement réalisé, sans esbroufe mais sans grande créativité non plus. Le casting met en scène un duo improbable sur le papier mais qui fonctionne. A ma droite une grande actrice anglaise, biberonnée à Shakespeare, la très classe Emma Thomson. Si elle joue sa partition sans fausse note c’est que le rôle lui va comme un gant : exigeante, intellectuelle, élégante, elle n’aura pas eu à forcer beaucoup sa nature pour entrer dans le personnage de Katherine Newbury. A ma gauche, la jeune et inconnue Mindy Kaling, pulpeuse, spontanée et volubile. Elle réussi à rendre son personnage sympathique alors que, sur le papier, il a tout pour être horripilant. Et puis, d’un point de vue plus général, c’est rassurant de voir à l’écran une jeune actrice qui ne correspond pas aux standards de la beauté made in Hollywood, pour changer, et qui n’est pas là que pour incarner la « grosse rigolote » ! Les seconds rôles sont trop peu écrits pour qu’un acteur puisse sortir du lot et c’est un peu dommage. Il y aurait sans doute matière à dire des choses sur ces humoristes de l’ombre, qui donnent leurs vannes pour que quelqu’un d’autre soit dans la lumière, qui renonce à leur chance pour une tierce personne (ou bien qui accepte ce genre de poste pour continuer à vivre de ce qu’ils aiment, selon le point de vue où l’on se place). Sur ce sujet comme sur tous les sujets que le film aborde, c’est fait de façon superficielle, et c’est le principal reproche que je ferais au scénario. Je ne sais pas s’il reflète une certaine vérité sur les coulisses des Late Show, sur ce point je lui laisse volontiers le bénéfice du doute. Mais ce qui saute aux yeux, c’est que le film aborde de biais et sans jamais les creuser vraiment des sujets pourtant prometteurs : le jeunisme qui sévit dans le monde de « l’Entertainment » au sens large, le communautarisme jusque dans l’humour qui paralyse la société américaine, le problème des quotas et aussi du népotisme, la déferlante #metoo et ses effets pervers, et au-delà la tyrannie des réseaux sociaux. Tout cela aurait pu donner lieu à une comédie cinglante, qui nous aurait fait rire un peu jaune et aurait donné lieu à réflexion, voire à débats. Mais « Late Night » est un film inoffensif qui aborde ces questions avant de vite les remettre sous le tapis. C’est un film qui va privilégier la comédie, avec son scénario stéréotypé
et sa happy end
, un film qui va privilégier la forme au fond.
Cette happy end est tellement évidente et téléphonée que je me demande si on ne devrait pas plutôt la prendre au second degré !
En fait, ce qui est embêtant avec ce film, c’est qu’il démontre dans sa forme un peu tout ce qu’il aurait pu dénoncer sur le fond : le manque l’audace, de singularité. Voilà un scénario qui prône l’exigence, la modernité, l’originalité mais qui oublie de se servir au passage, un comble ! Sans être un mauvais moment de cinéma, « Late Night » ne sera malheureusement pas tellement plus que cela, on l’aura oublié dans quelques semaines, pour le retrouver un dimanche soir à la TV dans quelques mois. Et là, entrecoupé de deux pages de pubs, il aura encore moins de crédibilité pour prôner la modernité et l’audace.