« L’horreur de la mort » une des définitions du mot Styx.
Le « Styx » de Wolfgang Fischer nous montre bien au-delà de l’horreur de la mort : l’horreur de l’indifférence pour des migrants africains…
Quoique…
Rike (Susanne Wolff) part seule en mer rejoindre l’île de l’Ascension pour ses vacances sur son propre voilier (ou loué ?). Médecin urgentiste, elle ne se contente pas de longer les côtes, elle navigue au large. On la voit dans son quotidien se démener pour conduire son voilier sous temps calme et agité. Elle a des moments de plaisirs, elle prend le soleil, se baigne. A travers ces longues séquences qui s’étirent sur plus d’une demi heure, je suis admiratif de son investissement. Ce n’est pas une marine du dimanche, on perçoit nettement un comportement professionnel.
Cette partie est passionnante.
La prestation de Susanne Wolff est captivante.
Puis arrive « l’horreur », un bateau bondé de réfugiés.
Le film est centré sur le point de vue de Rike. Ainsi, quand elle aperçoit ce bateau de sa cabine, et qu’elle scrute avec ses jumelles, on ne voit qu’elle, rien de ce qu’elle voit.
On perçoit des cris au loin, on entrevoit des bras qui s’agitent dans le flou de la profondeur de champ.
Tout est à hauteur de Rike.
Comme on ne l’entend pas puisqu’elle est seule, tout passe par son regard, ses silences.
A partir de ce postulat, je m’interroge comme elle : je me surprends à lui susurrer à l’oreille de ne pas s’approcher davantage de l’épave, d’écouter les recommandations des secours maritimes.
Comment peut-on rester indifférent devant une telle horreur ?
En tant que médecin, elle ne peut que suivre son instinct.
Pourtant, en tant que marine expérimentée, elle sait pertinemment qu’elle ne doit pas intervenir dans ce cas de figure.
Malgré tout, elle récupère un jeune homme, un ado, inanimé au moment où elle se démène pour le monter à bord ; je souffre avec elle physiquement. J’ai l’impression que le réalisateur filme en temps réel. Le poids inanimé du jeune garçon est lourd comme un âne mort.
Elle parvient à le soigner, à l’hydrater… c’est tout.
C’est déjà considérable, elle a quand même sauvé une vie !
Cependant, le jeune ado semble ingrat, il exige plus. Rike doit sauver le reste de sa famille, il parle d’une soeur. Mais il se heurte à l’impuissance de Rike de plus en plus torturée par le doute.
Après une longue réflexion, le metteur en scène ne s’amuse-t-il pas avec les sentiments du spectateur ?
Evidemment, le premier réflexe est de porter secours à des individus perdus en mer, épuisés de faim, de soif et de fatigue.
Evidemment, on doit suivre les recommandations des services de secours.
Il est évident que le voilier de Rike ne peut pas prendre en charge tous ces migrants estimés à plus de cent.
Il est évident que Rike ne peut pas choisir entre tel ou tel migrant.
Il est évident qu’en se rapprochant du bateau fantôme, Rike peut semer la confusion. Dans leur folie, la grande majorité des rescapés plongera et prendra d’assaut le voilier.
Que faire ?
Attendre ?
Seulement, l’attente se fait attendre !
C’est à se demander si les secours ne sous-estiment pas la situation.
D’autant que dans les environs, des navires pourraient prendre en charge ces migrants.
Seulement, ils suivent les recommandations des secours.
Aucun ne veut prendre d’initiative.
Puis des migrants africains, ça ne pèse pas lourd sur la conscience !
C’est ce que semble nous dire implicitement le réalisateur.
Apparemment, pour l’initié en mer, des bateaux remplis de migrants africains, ça doit être banal.
Moi qui pensais qu’il y avait une solidarité maritime, je suis tombé de haut.
Maintenant, à toute toute petite échelle, combien sommes-nous à ne pas donner un sou à des femmes orientales ou d’Europe de l’est qui font la manche aux feux rouges ?
Elles font partie du paysage !
On a donné une fois ici ou là de temps à autres, on ne donne pas tout le temps. D’autres s’en chargeront.
Pourtant, la solidarité maritime ou secours maritimes semblerait mieux fonctionner pour une personne occidentale.
C’est ce que semble nous dire implicitement le réalisateur.
On le voit aujourd’hui avec la guerre russo-ukrainienne : tous ces migrants ukrainiens sont plus acceptés que les syriens ou afghans.
Certaines personnes politiques ont fait leur mea culpa.
Un migrant reste un migrant. Peu importe d’où il vient.
Seulement, il y a dans l’inconscient un migrant qui présente bien un migrant qui présente mal !
Bref, là où je me plais à penser que le réalisateur peut manipuler les sentiments du spectateur c’est par ses mauvaises pistes.
Ce ne sont pas les migrants qui posent soucis, ils sont là pour mesurer la bêtise ou les louables intentions de Rike, c’est selon.
Dans un premier temps, le film est fait de telle manière que les autorités maritimes passent pour être ingrates.
C’est ce que semble nous dire implicitement le réalisateur.
Il est vrai qu’elles donnent raison à Rike. Après avoir sauvé le jeune garçon, la patrouille demeure absente dix heures après le premier contact.
Le réalisateur nous dit implicitement qu’on ne peut pas faire confiance aux secours et que Rike a bien fait d’agir.
Mais comme toutes les conditions ne sont pas réunies à commencer par un voilier petit, ne nous met-il pas dans une inconfortable réflexion ?
Car à bien y regarder, il n’y a pas photo : il est impossible d’agir pour l’ensemble des migrants.
Alors, Rike va devoir mentir sur sa situation pour forcer les autorités ou les navires environnants à revoir leur position.
Mais le réalisateur rectifie le tir pour mieux l’orienter sur Rike qui a menti sur sa condition de naufragée.
La caméra rapprochée de Wolfgang Fischer sur Rike semble la culpabiliser.
Celle-ci réalise (réaliserait ?) que les secours auraient fini par arriver s’ils avaient fini par secourir d’autres naufragés en détresse. Et ces secours engagés pour sauver Rike - naufragée volontaire ! - sont des secours en moins pour de vrais naufragés.
En soi, « Styx » n’est pas que « l’horreur de la mort », que l’horreur de bateaux gorgés de réfugiés, c’est l’horreur des priorités dans la hiérarchie des S.O.S ! C’est ce que réalise aussi Rike.
Les lois ou règlements de la marine ne participent-elles pas indirectement à l’horreur ?
Le réalisateur participe à cette horreur avec ses nombreux questionnements qui peuvent déstabiliser le spectateur et faire de Rike une partie du problème et non une solution pour reconsidérer tout le système des secours.