L’intelligence d’En Avant consiste à convertir peu à peu la quête du père en éloge de la famille comme mémoire et lieu de survivance de ceux qui ne sont plus là. En ce sens, le film croise la trajectoire historique d’une société aux bases magiques sapées par l’évolution de son économie et de son industrie, avec la trajectoire intime de deux frères qui vont, en cherchant à faire revenir leur père, se raccorder l’un à l’autre. Le long métrage de Dan Scanlon poursuit ainsi la réflexion menée par Coco sur l’importance des rituels commémorant les défunts et rassemblant dans une même communion spirituelle les vivants et les morts : il s’agit ici d’accepter le deuil nécessaire à la reconstruction d’une existence menée « en avant », et dont les membres de la famille et les soutiens extérieurs sont le moteur principal. Toutefois, ce beau propos est intégré à une machine vrombissante – à l’image du van – qui, lancée à toute allure sur les routes et les autoroutes, ne prend pas le temps de poser ses situations ni ses lieux. Si le film voyage, sillonne un pays en quête d’indices dans le paysage, il semble refuser le road movie et ce qu’il implique de contemplatif, de posé, de poétique. En résulte une production à deux vitesses qui aimerait cultiver une réflexion sans lui laisser l’occasion de prendre racines : le rythme doit être rapide, la composition musicale – peu mémorable au demeurant – a une fonction dynamique, nullement sensible, elle ne raconte rien. Il faut faire avancer le récit, enchaîner les séquences d’action, foncer à tout prix. Cette instabilité interne est en outre redoublée par la création d’un univers fictionnel chaotique, à l’image de ce que devient Disney aujourd’hui : un grand magasin de produits dérivés qui rachète tout ce qu’il peut racheter, qui intègre au forceps, qui s’efforce d’unifier à partir d’éléments hétéroclites. Certains diront que le film est foisonnant, riche, qu’il déborde de vie. D’autres y verront un fourre-tout prétexte au grand-spectacle boulimique, avec dragons, sirènes, magie et licornes. En Avant se plaît donc à entrelacer les tonalités (du rire à l’émotion, du teen movie au récit fantastique), à confondre histoire et mythologie refondée par la fantasy (selon le modèle prédominant dont les fondements se trouvent dans l’œuvre de Tolkien), à entasser les lieux et les objets pour finalement aboutir à un rapport à soi et aux autres à la fois tendre et frénétique, dans lequel le culte de la performance occupe le premier plan. C’est une vision, elle se défend. On peut aussi la contester.