« Tenet » était longuement attendu, car non content d’être le dernier bébé de Christopher Nolan, il s’agit également du premier gros blockbuster estival de l’année 2020, tous ses concurrents ayant été allègrement repoussés à cause de la crise du covid-19. On salue donc le courage de la Warner de sortir le film en salles, et parmi les premiers ! D’autant plus que « Tenet » est un film ambitieux, ou plus exactement un double film. D’un côté, on y trouve un thriller d’espionnage/action somme toute classique. Un agent secret doit empêcher les agissements d’un sordide milliardaire russe, qui pourraient anéantir le monde. De l’autre, un thriller de SF basé sur un high concept malin : l’inversion temporelle. On sent bien que c’est la partie SF qui passionne Nolan, grand amateur des manipulations temporelles. Le réalisateur part d’une idée somme toute simple, mais qui bouscule les lois de la physique classique :
la possibilité d’inverser l’entropie de certains objets.
Dans sa première moitié, le film exploite plutôt sagement ce postulat, laisse le spectateur s’y habituer. Puis l’ensemble se réveille, et joue sur son concept et les règles associées, pour livrer quelques scènes originales… mais peut-être pas autant qu’on l’aurait voulu. En effet, l’utilisation du concept aurait pu allègrement être poussée plus loin, les possibilités étant énormes :
détraquage des tourniquets, régénération de substance radioactive par inversion, annihilation de deux corps identiques par contact, etc.
Toutefois, ne boudons pas notre plaisir, car les scènes aux effets temporels sont lisibles et surtout bluffantes visuellement, offrant quelques passages très efficaces (scène de l’autoroute par exemple). Ceci démontre que Nolan s’est amélioré dans sa gestion des scènes d’action. On reprochera peut-être un final un peu expédié, ce qui est dommage vu le potentiel. Heureusement, les qualités du film ne se limitent pas aux effets temporels, car même les scènes « classiques » sont impressionnantes, à l’image de cette séquence d’introduction explosive. Tout le film est par ailleurs très beau, avec une magnifique photographie, des plans superbes, des décors variés, et une BO d’ambiance qui fonctionne bien. Le souci vient plutôt du volet thriller/espionnage, qui est très (trop ?) simple, et manque cruellement d’enjeu émotionnel. L’intrigue est primaire à souhait, et les personnages sont purement fonctionnels (le gentil est un gentil, le méchant est un méchant…). Les acteurs sont ainsi sous-exploités, et sont au mieux charismatiques (JDW, Robert Pattinson…), au pire frisant la cabotinage (Kenneth Branagh, qui nous recycle son rôle de méchant de « Jack Ryan Shadow Recruit » !). Pour autant, « Tenet » n’est pas ennuyeux, le scénario étant hyper rythmé par une succession de rebondissements et d’échanges bavards, mais les dialogues ne sont pas toujours adroits, et paraissent parfois prétentieux, voire artificiels. De même que certaines situations étranges, qui trouvent leur explication plus loin dans le film, mais ne tiennent pas vraiment la route quand elles débarquent. A l’arrivée, « Tenet » apparait comme un film ambitieux, bien emballé, bien pensé sur son concept SF, mais souffrant d’un manque d’enjeu émotionnel.