Le cambriolage de la salle des coffres de la Hatton Garden Safe Deposit Limited (à Londres) en avril 2015 a été étiqueté par beaucoup comme étant le plus gros casse de toute l’histoire judiciaire britannique. Cette assertion est-elle fondée ? "Je ne sais pas", répond le juge Christopher Kinch, conseiller de la Reine, lors de la condamnation du gang responsable du casse. "Cependant il est clair que le cambriolage en question est tout à fait à part que ce soit par son ambition, la minutie avec lequel il a été planifié, le niveau de préparation et d’organisation de l’équipe qui l’a exécuté, ou la valeur des biens dérobés."
L’affaire Hatton Garden a captivé le public, trustant la une des journaux à partir du moment où elle a été découverte jusqu’à la capture et à la condamnation du gang. Il était inévitable qu’elle se fraie un chemin dans la pop culture. Pour le producteur Tim Bevan, la graine a été plantée par quelqu’un d’inattendu. "Daniel Day Lewis m’a appelé et m’a dit « Tu as entendu parler de cette histoire ? Ça ferait un super film. » Et j’ai dit « Tu veux jouer dedans ? » Et il a répondu « Non, mais ça ferait quand même un super film ! » Et très vite je me suis dit « Il a raison. Il faut faire quelque chose. »"
Le producteur Tim Bevan a très vite pris contact avec James Marsh, qui s’est fait une spécialité de transposer des histoires vraies à l’écran. En 2008, Le Funambule, sa relecture de la traversée de Philippe Petit sur un câble tendu entre les deux tours du World Trade Center (le « crime artistique du siècle ») a raflé l'Oscar du meilleur documentaire. Deux ans plus tard, il a de nouveau captivé le public avec Le Projet Nim, sur un chimpanzé élevé comme un être humain. Puis il y a eu bien sûr son film le plus récent, Une merveilleuse histoire du temps (2014), son adaptation pour l’écran de la vie de feu le Professeur Stephen Hawking, qui a valu à James Marsh son second prix aux BAFTA et une nomination à l’oscar. "On a soumis l’idée à James très en amont du projet. On venait de connaître un gros succès avec Une merveilleuse histoire du temps, et quand je lui ai pitché l’idée il en tout de suite discerné le potentiel", confie Tim Bevan. "Cela dit, j’étais plutôt réticent à le faire", lui rappelle le metteur en scène. "Il me semblait voir le ton qu’il faudrait adopter, et je ne pensais pas être à l’aise là-dedans. Mais plus je me suis plongé dans l’histoire vraie, plus je voyais la comédie à en tirer."
Michael Caine prête ses traits à Brian Reader, décrit comme « le dernier des gentlemen cambrioleurs ». Il est aussi célère qu’un malfaiteur peut l’être. C’est l’un des voleurs de diamants les plus prolifiques, impliqués dans des braquages et cambriolages totalisant plus de 200 millions de livres sterling de butin. Son nom est associé aux plus célèbres coups de son époque. Avant ses 32 ans, Reader faisait partie d’un gang d’as de la cambriole surnommés les Taupes Millionnaires, ainsi baptisés parce qu’ils avaient creusé une galerie jusqu’à une chambre forte de la Lloyds à Londres et pillé quelque 268 coffres en 1971. Il a aussi été associé au coup de la Brink’s- MAT en 1983, le gang dérobant ce qui représenterait aujourd’hui 145 millions de dollars en lingots d’or. Originaire de la partie sud de Londres, de condition modeste, c’était un homme qui, au sommet de son succès, savait jouir des bonnes choses de la vie – les restaurants coûteux, les sports d’hiver, la voile l’été. Un homme important, admiré de ses pairs.
Avant que les caméras aient commencé de tourner sur Gentlemen Cambrioleurs, il y avait déjà eu deux films, une série TV et au moins trois livres écrits sur le crime ; ce qui posait la question : qu’y a-t-il à dire de plus ? "C’est comme un vieux mythe", déclare James Marsh. "Toute histoire de ce type est vouée à susciter différentes lectures. Impossible de résister à une histoire pareille quand vous lisez les gros titres. Le fait que ce sont de vieux messieurs qui ont commis ce crime, et qu’ils sont désespérément ignorants du monde moderne… C’est du pain bénit, pour un réalisateur ou auteur." Il y a toutefois une chose à laquelle Gentlemen Cambrioleurs a accès, une chose dont personne d’autre ne peut se prévaloir, et qui donne au film un vrai avantage sur tout ce qui a pu sortir avant ou tout ce qui pourra sortir après. Au-delà de Michael Caine, ce qui confère au film une position unique pour raconter la véritable histoire, c’est le matériau sur lequel il s’appuie. "Avec un sujet aussi convoité, il fallait s’assurer que personne ne soit en mesure de faire le film qu’on voulait faire", raconte Tim Bevan. "On a donc contacté The Guardian, et acheté les droits du reportage de Duncan Campbell sur cette histoire."
Duncan Campbell, dont le reportage a inspiré le film, est le correspondant en chef du département police-justice du quotidien britannique. Vétéran du journalisme d’investigation, il écrit sur le crime depuis plus de trente ans, et, ce faisant, a tissé des liens étroits avec le monde de la pègre. "Il y avait beaucoup de spéculation concernant les auteurs du cambriolage, et quand il est apparu que les gens arrêtés avaient dans les 70 ans, je me suis demandé si l’un d’eux était quelqu’un que je pourrais connaître, explique Duncan. Quand il s’est avéré qu’il s’agissait de Brian Reader, quelqu’un que je connaissais depuis longtemps pour avoir couvert l’actualité criminelle, je me suis retrouvé embarqué dans cette affaire. J’ai écrit un papier pour The Guardian Magazine, ayant couvert le procès, et cela m’a amené à collaborer au film."
Le journaliste Duncan Campbell a apporté au projet bien plus que tout ce que la société de production Working Title aurait pu rêver. Fort d’une relation de plus de 30 ans avec les tribunaux et Scotland Yard, Duncan a pu avoir accès aux documents officiels de l’enquête – des centaines de pages de documents. Quand Scotland Yard a réalisé qui était derrière le cambriolage, il leur a fallu bâtir un dossier en béton armé pour assurer l’arrestation et, au final, le procès du gang. Les agents ont alors pris le gang en filature, mettant leurs téléphones sur écoute, enregistrant leurs conversations, recourant à des gens capables de lire sur les lèvres quand ils ne pouvaient pas installer de micros. Chaque conversation a été enregistrée ; chaque activité observée, classée, et quand le gang fut finalement soumis à interrogatoire, les entretiens ont été enregistrés et retranscrits. Une vraie mine d’or, dans laquelle Working Title pouvait puiser à loisir.
Le travail du journaliste Duncan Campbell a été transformé en scénario par un scénariste surdoué, Joe Penhall (Mindhunter, La Route). "Ce sont les comptes-rendus de surveillance que Duncan a obtenus pour moi de Scotland Yard qui m’ont vraiment harponné", explique le scénariste. "Ils ont vite subodoré qui pouvait se trouver derrière le braquage, et ont mis le gang tout entier sous surveillance – des puces dans leurs voitures, des micros sur leurs téléphones. Ils ont couvert le moindre aspect des interactions qu’ils pouvaient avoir, enregistrant tous leurs dialogues. J’ai étudié ce document, épais d’une centaine de pages, et ça se lisait comme une pièce de théâtre. C’était splendide, et le jargon si obscur et authentique qu’il allait de soi que ça ferait un super script. Donc on m’a fourni une matière première incroyable, et on m’a dit d’en faire ce que je voulais."
Le vrai gang étant encore bien vivant au moment de l’écriture et de la fabrication du film (Terry Perkins est mort en prison le 5 févier 2018) et détenu à durée indéterminée, n’y avait-il pas lieu de les recruter comme conseillers ? "Il y avait des gens proches du gang qui se sont proposés comme consultants, mais nous avons gardé nos distances et utilisé la documentation journalistique", explique la productrice Michelle Wright. "Nous avons essayé de rester aussi fidèles aux personnages que possible. On s’est autorisé une certaine licence artistique. Nous avons essayé de respecter la chronologie au maximum, et de montrer qui étaient ces gens du mieux qu’on a pu."
Jim Broadbent a été engagé pour jouer Terry Perkins, le personnage le plus menaçant et dangereux du gang. Terry Perkins était un criminel de carrière qui, en 1983, alors qu’il fêtait ses 35 ans, fut impliqué dans le plus gros cambriolage des annales britanniques, le braquage du dépôt de la Security Express, à Londres, qui vit 6 millions de livres sterling disparaître. Perkins fut arrêté et condamné à 22 ans de prison. Lors de sa condamnation, le juge l’a décrit comme « mauvais » et « sans foi ni loi », notamment parce qu’il avait menacé un employé de la banque en l’aspergeant d’essence et en agitant une boîte d’allumettes devant lui – un détail que Joe a inclus dans le script. L’ironie du sort veut que 32 ans jour pour jour après le braquage de la Security Express, alors qu’il célébrait ses 67 printemps, Perkins perçait un mur dans la chambre forte de Hatton Garden.
Âgé de 61 ans au moment du vol, Danny Jones (Ray Winstone dans le film) avait déjà un casier judiciaire conséquent remontant à 1975, avec des condamnations pour vol, recel de biens volés et cambriolage. Décrit comme un excentrique à la Walter Mitty lors du procès, Jones a affirmé qu’il détenait des superpouvoirs, qu’il savait lire les lignes de la main et qu’il dormait vêtu du peignoir de sa mère et d’un fez. Pour le reste, il était obsédé par le mal, et passait son temps libre à se documenter sur les criminels célèbres. C’est lors du raid de sa maison qu’un exemplaire du livre mentionné dans le film, « La Police scientifique pour les nuls », a été trouvé.
Tandis que les acteurs préparaient leurs rôles, il y a eu discussion pour décider s’il était judicieux qu’ils rencontrent leurs modèles. Concernant Brian Reader et Michael Caine, la question ne se posait pas. "Brian est très secret", explique la productrice Michelle Wright. "Il fait profil très bas et ne veut pas attirer l’attention. C’est d’ailleurs ainsi qu’il est représenté dans le scénario. Donc le rencontrer a toujours été hors de question." "Essayer de jouer Brian sans jamais l’avoir rencontré était clairement l’aspect le plus difficile de ce projet", admet Michael Caine. "Une minute avec lui, c’est tout ce dont j’aurais eu besoin. Je voulais entendre sa voix, surtout. Ça n’a pas été possible, mais Joe, notre scénariste, a interviewé sa fille, et quand elle a su que c’était moi qui jouerais son père, elle a dit « Il est trop rustique », pensant sans doute que j’étais un pur Cockney affublé d’un accent à couper au couteau. Par ailleurs, Brian a épousé une femme de Dulwich et ils ont vécu à Blackheath, donc j’ai estimé qu’il avait sans doute un accent cockney très léger."
Si les scènes se déroulant à l’intérieur de la chambre forte ont été faites aux Studios Ealing, la majeure partie du film a été tournée en extérieurs, tirant tout le parti possible de Londres, de la banlieue d’Ealing jusqu’à Hatton Garden. C’est le tournage à Hatton qui s’est révélé le plus problématique pour l’équipe des extérieurs. Non seulement ils ont dû préparer le terrain, au niveau local, pour un certain nombre de scènes tournées de nuit, mais il y avait aussi de nombreuses scènes de jour qui demandaient à être réglées avec précision de manière à ne pas perturber la vie des commerces locaux. Pas facile si l’on ajoute qu’une des scènes en question impliquait une foule nombreuse et des hélicoptères en vol. "L’élément le plus compliqué, c’était le tournage de nuit", confie le régisseur général Eugène Strange. "On a dû les persuader de nous laisser tourner à Hatton pendant six nuits, toute la nuit, dans un quartier ultra-résidentiel, ce qui est très inhabituel." "La réaction initiale a été assez positive", révèle la régisseuse Eleri Coulten.
Le gang parlait cockney, une version argotique de l’anglais qui est née précisément pour duper la police, selon la productrice Michelle Wright. L’argot cockney imagé est une forme de langage née à Londres dans l’East End dans les années 1840, dans le but de rendre obscur la signification des phrases à ceux qui ne maîtrisaient pas l’argot. La raison pour laquelle il a été inventé varie selon les interlocuteurs : certains disent qu’il a été créé par des vendeurs de marché pour cacher ce qu’ils disaient aux clients et aux passants ; pour d’autres, c’est du jargon de prison, pour que les détenus parlent librement sans que les gardiens puissent comprendre. Quelles que soient ses origines, le dialecte a lentement infiltré le parler moderne. « Use your loaf » (utilise ta miche) ou « Have a butcher’s » (jette un boucher) ne sont que deux exemples parmi d’autres d’expressions utilisées à travers tout le Royaume-Uni qui viennent de l’argot cockney imagé.