Quelle claque. Avec "Le Salaire de la Peur" Henri-Georges Clouzot prouve qu'on peut faire du grand cinéma avec un concept simple : quatre chauffeurs, deux camions et plusieurs centaines de litres de nitroglycérine. Et ça fonctionne parfaitement.
Ça fonctionne car Clouzot a eu l'intelligence de créer des personnages avant de les mettre face à cette situation. Le long-métrage surprend donc, se posant pendant une bonne heure au milieu de ce paysage d'Amérique centrale, dépeignant ses habitudes, ses amitiés, ses amours, mais surtout sa misère. Misère d'un paradis perdu, où tout le monde se rend et ne rêve plus que de partir. C'est par ce biais que l'on s'attache aux personnages, car l'empathie, au vu de leur situation désespérée, est immédiate.
A préciser que le tout est magnifiquement mis en image par la superbe photographie et les cadres somptueux.
De plus, cela fonctionne aussi parce que Clouzot sait créer l'angoisse, la tension, car la mise en scène prend vraiment son temps pour l'instaurer, le premier démarrage de moteur annonce le début d'une lente marche funèbre, à ce moment on sait ce qui attend les protagonistes, et cela avant même le départ des camions, la scène du chargement de la nitroglycérine est par ailleurs remarquable. Tout est millimétré, on compte les secondes, chaque plan sur un pneu devient source de stress, le bruit du bois qui craque sous le poids d'un des véhicules nous cloue sur place, c'est parfaitement maitrisé et les deux heures et demi passent à une vitesse folle, il aurait presque fallut plus.
Le réalisateur français parvient à créer des images chocs, autant dans la première partie que dans la seconde, qui hanteront le spectateur pour longtemps
(Les pieds du pendu derrière l'arbre, le corps de Charles Vanel recouvert de pétrole)
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Avec son récit d'une grande simplicité, Henri-Georges Clouzot réalise une oeuvre aussi désespérée que ses personnages, ces derniers étant prêts à tout pour s'en sortir. Un long-métrage qui, grâce à sa mise en scène d'une maitrise rare et sa noirceur social, touche à la perfection. "Il y a des 'ricains ici ?" "Tu parles, quand il y a du pétrole ils sont pas loin" comme il est parfois triste d'avoir raison.