Un coin d'Amérique Centrale où il n'y a à première vue que du pétrole et des sierras, 2 camions remplis ras la casquette de bidons de nitro dont un seul litre réduit en poussière un rocher de 10 tonnes, 4 durs expatriés qui n'ont plus rien d'autre à perdre que leur vie... "Le Salaire de la peur", film de l'année 1953 (1er prix à Cannes, Berlin et Londres) est aussi une des plus grande réussite du cinéma français.
La première partie qui plante (un peu) le décor et (beaucoup) les personnages est indispensable, et aurait même pu à elle seule faire l'objet d'un film noir aux couleurs exotiques très correct.
Seulement, il y a la seconde, passionnante, pleine de suspense et de scènes toutes réussis, mais surtout étudié, pensé, millimétré pour faire du grand cinéma. Et des dialogues dont pas un seul n'est inutile ou mauvais: même les phrases murmurés possèdent couleur et esprit.
Le film repose aussi sur une idée excellente et parfaitement exploité: révéler les personnages devant les événements.
Le principal, Mario , est sans doute le moins sympathique et peut-être même le moins profond.
Mais, fort bien joué par Yves Montand, il centralise avec brio la plupart des (bonnes) idées du film.
Mario, corse d'origine passé (on imagine vite et mal) par Paris, petite frappe sans envergure, raciste par lâcheté, macho par frime, et immature sous ses airs de caïd, se révélera un vrai dur, courageux autant que sans guère d’états d'âme. Récompense comme punition viendront toute deux justement pour cet anti-héros.
Le personnage de Jo est le sommet de la carrière de Charles Vanel, qui détient par ailleurs le record de longévité du cinéma français (75 ans entre sa première -un court-métrage de 1912- et sa dernière -le film "Les saisons du plaisir" en 1987- apparition sur les écrans !) et sera justement récompensé à Cannes pour son rôle dans "Le Salaire de la peur"
Vrai caïd parisien, qui a roulé sa bosse un peu partout et jusque avec le directeur local américain d'une compagnie pétrolière par le passé, tout en frime et sang-froid, il se révélera doucement (on en a un premier aperçus dés son exagéré contrôle du camion avant le départ) couard et sa fierté se liquéfiera plus vite qu'un filet de pétrole surgissant d'un pipe-line crevé. Nostalgique, vieillissant, égoïste et lâche, il n'en marquera pas moins le spectateur par ses défauts humains et l'incroyable prestation de Charles Vannel totalement habité par son personnage, plus réaliste et moins grandiloquent que le jeu d'Yves Montand a qui il donne, par moment, une vrai leçon de comédien -ce n'est pas peu dire devant la prestation déjà réussi de Montand-
Il y a aussi, et ils sont aussi indispensables que la première partie du film, les 2 autres chauffeurs:
Luigi (comme dans le célèbre jeu 40 ans plus tard, il jouera avec et contre Mario selon le déroulement de la partie ;) ) joué par Folco Lulli (peu connu en France), est régulièrement la bouffée d'air pur du film (air pur dont il a lui d'abord bien besoin, condamné par une maladie des poumons à court terme si il ne trouve pas le moyen de quitter le pays et son métier de maçon), joyeux et attachant, naïf et courageux.
Il fait équipe avec un allemand (le duo germano-italien étant bien plus sympathique que celui Hitler-Mussolini quelques années auparavant, clin d’œil historique quasi contemporain de HG Clouzot?) sombre, "mort" déjà dans les mines de sel nazi (où l'a peut-être conduit son homosexualité plus ou moins refoulé, comme il le confiera à Luigi), ce Bimba (Peter van Eyck), tout en sang-froid et ingéniosité, est sans doute celui qui avait le plus de chance de mener un camion à bon port. Sa participation au quatuor du film, en tout cas, apporte de l'équilibre à l'ensemble.
Équilibré en tout est une des premières impression qui ressort de ce film, en tout cas, et même le personnage de Linda (Vera Clouzot), à première vue inutile, participe à l'éclairage sur le personnage principal et illuminera la fin de ce chef-d'oeuvre.