Un Juif pour l'exemple est une adaptation libre du roman de Jacques Chessex, paru chez Grasset en 2009. Dans ce livre, l’auteur évoque l’assassinat d’un commerçant juif par des sympathisants nazis. Il nous raconte l’histoire vraie qui s’est déroulée à Payerne en 1942. À l’époque de ce meurtre odieux, Jacques Chessex avait 8 ans. Soixante-sept ans plus tard, il se souvient du drame qui a frappé sa ville d’origine et qui le hante depuis.
Si le roman se déroule en 1942, le film, lui, parle aussi d’aujourd’hui et du parcours de l’écrivain qui essaie de trouver, pour lui et pour sa ville de Payerne, une forme de rédemption et de réparation à travers la littérature. Pour inclure le personnage de Chessex, enfant mais aussi vieux, le cinéaste télescope les époques, précisément comme lorsque l’on accomplit un travail de mémoire : on retourne sur un lieu, dans le présent, mais avec les images du passé en tête. Il y a donc dans le film un vieil homme qui se souvient. Le film mêle l’année 1942 à notre époque. Il s’est tourné principalement à Fribourg et à Ropraz – où vivait Chessex.
Une des questions importantes posées par le film est celle de notre rapport à l’Histoire, à la mémoire. Comment voyons-nous la position de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale ? Comment nous l’a-t-on expliquée, enseignée ? Si le « devoir de mémoire » tend à une injonction et évoque plutôt la commémoration officielle, le « travail de mémoire » est une manière plus personnelle de se pencher sur la réalité des faits pour essayer de la comprendre.
La question du passage à l’acte de violence est elle aussi au coeur du récit. Comment, au sein d'une société donnée, est-il possible de basculer dans la violence, d’abord symbolique puis réelle ? Quels sont ces symptômes qui s’accumulent et qui, tout à coup, sont susceptibles de pousser des individus à glisser vers la violence extrême, alors qu'ils vivent dans une société relativement paisible et « civilisée » ? Le film laisse entendre que les comportements de l’époque ne sont pas si éloignés d’une certaine réalité et de certains comportements ségrégationnistes extrémistes d'aujourd'hui. Ce rapprochement est souligné dès les premières minutes du film. Un carton rappelle que Chessex avait 8 ans lors du crime de Payerne et que celui-ci l'a hanté sa vie durant. Puis, la résonance avec aujourd’hui se fait immédiate, lorsque le spectateur comprend que des migrants sont refoulés par les soldats suisses, à l’image de ce qui se passe actuellement aux frontières.
Le réalisateur Jacob Berger a décidé de jouer avec les époques dans Un Juif pour l'exemple. Ce télescopage des époques mis en place n’est pas sans rappeler le processus de distanciation théorisé par Bertolt Brecht. La mise en scène, pensée à cet effet, travaille à interpeller le spectateur. Celui-ci n’est pas l’observateur extérieur de la reconstitution historique qui prend place à l’écran. Il est aussi un spectateur actif, contraint par les télescopages inhabituels entre 1942 et 2009 à réfléchir, non seulement aux correspondances entre ces deux époques mais également aux partis-pris de mise en scène du réalisateur. Le décorateur et la responsable de la continuité (scripte) se seraient-ils trompés ? Les voitures contemporaines seraient-elles une erreur ? Les immeubles récents dans un décor de 1942, une grave maladresse ? C’est au fil du récit et des télescopages répétés que le spectateur comprend petit à petit que ces anachronismes sont voulus et servent à insuffler un sens supplémentaire au film.