Une très belle surprise ! Justement tout le contraire d'une "romance gay" telle qu'on pourrait s'y attendre et surtout telle qu'on en pond au kilomètre depuis plusieurs années (sur fond d'émancipation ou d'années SIDA, avec un fonds romantico-trash...) ! Rien à voir, ici il s'agit d'un film sur le désir au masculin, filmé avec une grande subtilité. Quasiment pas d'intrigue :
un groupe de garçons, amis d'enfance, se retrouvent dans une villa pour y passer l'été, et on suit leurs amusements (glandouille, sport, chahuts, baignades... rien de plus) et leurs discussions, qui tournent beaucoup autour des filles, de quelques projections d'avenir floues...
C'est que l'essentiel est ailleurs. La caméra nous raconte autre chose : l'émergence du désir, en deçà de la parole, informulé, informulable peut-être (
même dans les discussions téléphoniques du principal protagoniste à son confident gay, rien ne s'exprime explicitement
), les jeux de regards, lourds de sens dans cette promiscuité masculine "familière", les gestes, spontanés, d'une sensualité évidente et parfois involontaire, et tout le trouble qui résulte de ces situations. La direction d'acteur est excellente : derrière un jeu réaliste, faussement improvisé, qui colle parfaitement à l'esthétique quasi documentaire que prend parfois le film, une grande subtilité s'exprime, à travers les regards, les expressions des visages, les corps qui s'offrent sans retenue. Sans avoir à le formuler clairement, on comprend parfaitement qui sont les personnages gays (
notamment le meilleur ami, gay amoureux de Fer et qui se débat comme il peut avec la jalousie qui l'assaille
), et ceux qui ne le sont absolument pas. Donc, belle incarnation !
Le réalisateur propose un parti-pris scénaristique audacieux et très efficace :
il multiplie les occasions de rapprochement entre les deux principaux protagonistes et choisit systématiquement de décevoir le spectateur en ne donnant pas à ses scènes l'issue attendue et espérée (une scène de sexe gay esthétisée, qui fonctionnerait comme un climax érotique... ici, les seules scènes de sexe sont justement des scènes hétérosexuelles, et l'on devra se contenter, à la toute fin d'un seul baiser)
. La mise en scène joue des glissements, des détournements, des ellipses qui font travailler l'imaginaire... et déçoivent. En fait, Berger nous fait éprouver nous-mêmes toute la mécanique du désir, il étire le temps, glisse lascivement sur les corps, exacerbe nos désirs de voir le désir de ces garçons s'exprimer enfin, dans une scène de pure libération érotique. Sans transiger avec ce principe, le film est construit d'une manière très rigoureuse.
Point intéressant, Berger filme les corps de manière très crue, sans chercher à les magnifier et pourtant il les rend sublimes. Pas d'esthétisation de pacotille à coup de maquillage flatteur, d'épilation savante ou de poses étudiées, les plans sont très rapprochés : les visages et les corps sont sans fard, il y a des pores dilatés, des boutons, des poils ici et là, des piqûres de moustique, et des scènes pas spécialement "glamour" (se couper les ongles, se masturber...). Et pourtant ils sont magnifiques, car profondément vivants, et je pense que c'est là que Berger a réussi pleinement, en nous rappelant que le désir est avant tout une pulsion de vie, spontanée, animale, qui passe par tous les sens, et non une esthétisation de papier glacé. D'ailleurs, les garçons passent leur temps à se laver, comme s'ils exsudaient les phéromones. Nous spectateurs sommes conviés à une célébration sensuelle, où la vue, le toucher (la caméra est très caressante) et même les sens les moins cinématographiques finissent par être conviés (les corps suants, les fumées des pétards, les haleines chargées d'alcool... qui finissent par s'insinuer fortement dans l'esprit du spectateur en convoquant sa mémoire animale). Un mot sur les cadrages, réellement audacieux, sans jamais être obscènes : des fessiers, des sexes, des torses, des jambes, des ventres, ils sont omniprésents (il y a quand même huit garçons à l'écran quasiment dénudés tout au long du film!). Pourtant rien de racoleur, juste un regard contemplatif, curieux du corps, de sa matière, de sa vibration, sans fausse pudeur : Berger retrouve quelque chose de l'esthétique antique, sauf qu'il sait parfaitement donner vie à ses statues.
Le rythme lent, qu'on pourra parfois trouver languide peut-être, est en fait très contemplatif. Ce n'est pas un défaut, c'est bien au contraire la condition de notre changement de regard sur ce groupe de garçons : l'abandon dans lequel ils se trouvent permet d'exprimer le langage des corps, des regards, des silences, d'atteindre à une lascivité qui autrement ne serait que surface. Ce temps est nécessaire à la démonstration que Berger entend proposer.
Alors que peut-on reprocher à ce film ? Peut-être justement son audace conceptuelle, qui finit par mettre l'émotion en défaut. Nos sens vibrent, mais le coeur ne bat pas. A tel point que la conclusion, inévitable, attendue de pied ferme, laisse de marbre. Pour poursuivre la métaphore statuaire, la conclusion marque la pétrification du projet. Mais pour avoir vibré sensuellement aussi singulièrement et parfois intensément avant, c'est à peine une déception. Après tout, le désir meurt de s'être réalisé. Ce qui est très fort ici, c'est que notre désir de spectateur meurt au moment où celui de nos personnages éclat enfin. Mais c'est aussi bien ainsi, car proposer un regard insistant à cet endroit transformerait notre expérience de spectateur en voyeurisme malsain.
Quittons donc nos personnages avec ce magnifique plan à contre-jour.
Enfin, on pourrait peut-être reprocher à ce film d'être très orienté vers un public gay, qui se retrouvera dans ces mouvements de désir désordonnés, bourrés d'implicites. Peut-être qu'un plus large public n'y trouvera pas d'intérêt et considèrera l'entreprise comme vaine et ennuyeuse. Les fans de taekwondo risquent notamment d'être déçus ! Mais comme dit le personnage principal à ce sujet : "on ne se bat pas, c'est juste de l'entraînement" !