Pierre Salvadori le déclare volontiers, il admire le genre de la « screwball comedy » qu’on peut désigner en français sous l’expression de « comédie loufoque », ces films bourrés de fantaisies qui furent un des fleurons des studios hollywoodiens pendant les années 30 et 40. Des réalisateurs comme Frank Capra, Howard Hawks, Ernst Lubitsch ou Preston Sturges s’y illustrèrent avec un incomparable bonheur. Ces films, d’ailleurs, n’ont, pour la plupart, pas pris une ride.
En sera-t-il de même avec celui que propose aujourd’hui le cinéaste français ? Peut-être. Ce qui est sûr, quoi qu’il en soit, c’est qu’on se délecte en le regardant. On y découvre une Adèle Haenel épatante qui confirme avec brio ses immenses talents d’actrice. Dans le rôle d’Yvonne Santi, inspectrice de police qui vient de perdre son mari, lui-même policier, mort au court d’une mission périlleuse, elle déploie tout le registre de ses dons. Surtout quand elle apprend que son cher époux, en l’honneur de qui l’on vient d’ériger une statue du plus effarant mauvais goût, n’était en vérité qu’un ripou.
En prenant comme point d’appui cette révélation, le film développe trois pistes sans jamais se priver d’y intégrer de bonnes doses de loufoqueries des plus réjouissantes. Tout d’abord, Yvonne Santi doit faire preuve d’habileté avec son propre fils, un tout jeune garçon à qui elle a pris l’habitude de raconter, chaque soir, les exploits de son père. Comment s’y prendre maintenant qu’elle sait que ce dernier n’était qu’un flic corrompu ? L’astuce de Pierre Salvadori consiste à reproduire, à de multiples reprises, une même scène d’intervention musclée du policier défunt en la modulant en fonction des hésitations d’Yvonne Santi ne voulant pas chagriner son fils tout en lui faisant entrevoir une vérité qui n’est pas aussi belle qu’il l’imagine.
La deuxième piste qu’explore avec talent le cinéaste, c’est celle de la réparation. Comme dans « La Fille inconnue » des frères Dardenne, Adèle Haenel joue le rôle d’une femme s’employant à réparer une faute commise. La différence, c’est que, dans le film de Pierre Salvadori, il ne s’agit pas de sa propre faute mais de celle de son défunt mari. À cause des agissements de ce dernier, en effet, un innocent prénommé Antoine (Pio Marmaï) a dû effectuer une peine de prison. Libéré, mais complètement chamboulé par son incarcération, l’homme ne pense plus qu’à se risquer à un véritable braquage. Pour Yvonne Santi, c’est à nouveau le grand embarras : comment se faire la protectrice d’un individu injustement condamné mais qui s’apprête à commettre de véritables exactions ?
Enfin, la troisième piste que se plaît à adopter le cinéaste, c’est celle, disons, de l’amoureux qui n’en revient pas. En l’occurrence, il s’agit de Louis (Damien Bonnard), un collègue policier qui n’a d’yeux que pour Yvonne, au point qu’il ne se rend pas même compte qu’il a affaire, à plusieurs reprises, à un sérial killer se présentant de lui-même au poste de police pour finir par être systématiquement renvoyé chez lui !
Et ce n’est là qu’un des excellents gags dont ce film est parsemé.
On a droit aussi à une scène de braquage totalement extravagante, si extravagante que les vigiles n’en croient pas leurs yeux au point de rester sans réagir
. Le film mêle avec intelligence l’humour le plus énorme et les sentiments les plus nobles. Ils sont, tout particulièrement, l’apanage des femmes : d’Adèle Haenel dont le personnage rayonne de compassion et d’Audrey Tautou qui, en épouse de l’homme qui sort de prison, lui fait refaire plusieurs fois la scène de leurs retrouvailles. C’est une des plus belles idées d’un scénario qui ne manque pas d’inventivité.