Les valeurs d’une société se mesurent avant tout par la cohésion de tous ses membres. C’est bien évidemment le thème récurrent qui ramène chaque individu à se questionner sur son avenir en son sein. Teddy Lussi-Modeste l’avait étudié à travers son premier long-métrage, « Jimmy Rivière », où le héros tente de s’émanciper de sa communauté et des traditions qui l’accompagnent. Comme les gens du voyage, le réalisateur oppose un milieu social nettement moins bien intégré au cœur d’une cité où le meilleur comme le pire peut survenir. Aux côtés de sa scénariste, Rebecca Zlotowski, il compose une étude sur la révolte et la mise en garde du concept de succès et de la célébrité.
Si le stand-up est choisi comme toile de fond, c’est tout d’abord une histoire de crédibilité et nous le comprenons assez rapidement. Dans le show business récent, les maghrébins explorent le milieu du spectacle et commencent à s’emparer d’une richesse qui fut ardemment accessible il y a encore deux décennies. Les artistes sont nombreux pour être cités et la scène peut également varier, car la leçon qu’énonce le film est aisément transposable à d’autres disciplines, telles que le sport, la musique, le cinéma ou la littérature. Brahim (Tahar Rahim) est l’un de ces artistes qui a habilement su exploiter son charisme au profit du divertissement. La montée en puissance requiert une volonté de s’émanciper des écarts sociaux qui ont tendance à écraser ceux qui ne peuvent encaisser les coups. Bien au contraire, ce jeune talent montre qu’il possède le potentiel pour réussir.
Et c’est à partir de ce point que l’intrigue démarre en force. On introduit subtilement le réseau qui touche une star de cette envergure. Que ce soit sous les feux des projecteurs ou la scène de l’ordre privé, il doit apprendre à adopter une conduite en séquence. La question de dépendance est donc légitime, car arrivé à un haut niveau de succès, est-il possible de s’affirmer pour soi, ou bien de s’affirmer pour son public ? Le stand-up est donc un intermédiaire judicieux car la scène représente son lieu de confession. Il nourrit son spectacle par ses expériences, bénéfiques ou non, ou laissent ses sentiments s’exprimer afin que l’on s’identifie dans l’humain qui est en lui. Le schéma s’anticipe bien et nous dévoile peu à peu les étapes qui feront chuter une harmonie qui était destinée à exister éphémèrement.
Face à l’adversité, il mène une lutte acharnée afin d’obtenir le tremplin qui le libèrera de son cocon. On en vient alors aux valeurs familiales, essentiellement amenées par son frère aîné Mourad (Roschdy Zem). Impulsif et fier de porter son frère dans son cœur, le besoin de reconnaissance le touche rapidement. La loyauté en prend donc un coup, car son caractère hautement instable ne laisse aucun répit au cadet de montrer son affection. Comme chacun trouble ses pensées dans leur coin, les relations « extérieures » viennent ajouter des tensions dramatiques. Linda (Maïwenn), la conjointe de Brahim se place dans un tourbillon de rage et d’incompréhension. Au milieu des deux frangins, elle comme d’autres personnages secondaires ne sont que des arguments scénaristiques, au même titre que les arguments de vente que les documentaires intégrés illustrent. Ils comblent les vides et proposent des transitions, parfois radicales. Mais à force de jongler avec ces arguments, on peut arriver à perdre le fil conducteur qu’est la relation fraternelle.
Une complicité si forte parvient à la rupture lorsque le doute s’installe peu à peu. Braqué à la fois par sa carrière et sa famille, le jeune Brahim doit trancher. Son frère et manager, devient alors incontrôlable. Son tort est reconnu dans ces décisions violentes dans le but de préserver la famille de la honte. Il use de la violence verbale et physique, mais son utilisation témoigne d’un manque de sagesse que l’on tend de nous en persuader l’existence, en vain. Sur le plan moral, chacun fait son devoir et pense à sa famille et son avenir. Bahim également tente de préserver sa famille en acceptant une rupture nécessaire, mais il libère un poison nocif qui ne lâchera pas sa vie, car il est difficile de couper totalement ses racines. Le réalisateur, par des propos très explicites, montre que la famille constitue ce tremplin vers la gloire, mais qu’après le saut, il y a une chute à maîtriser. D’un autre côté, la famille peut également freiner les envolés d’un membre en plein épanouissement. Le conflit, tout comme l’ennemi, que chacun combat est à l’intérieur de soi et de son entourage proche. L’écart et le recul que l’on doit avoir vis-à-vis de la vie en général sont justifiés par l’amour. Il est le fautif qui perturbe l’équilibre d’une famille et il se révèle plus destructeur que la sphère du show business, que l’on met volontairement en arrière-plan.
Nous sommes ainsi forcés de constater que la formule hybride d’une réalisation, qui se veut directe et habille dans le fond, réussit à convaincre un auditoire universel. « Le Prix du Succès » aborde les méfaits du refuge familiale qui divise plus que tout. Le récit se permet donc d’osciller sur différents exemples qui confortent les personnages à se cantonner à leurs valeurs premières. Les choix de cadrage incluent une barrière dont on observe l’effritement par frénésie, mais concernant le choix des discours, la plupart sont lourdes à encaisser. On aurait volontiers sacrifié quelques échanges clés pour laisser parler l’inconscient à travers le regard. Au moment du dénouement, le film s’engage à le faire et ne laisse que l’ambiguïté derrière lui. Arrivé au point de rupture, les personnages, comme nous autres spectateurs recouvrons la vue et la crédibilité des drames vécus, afin de donner un sens au succès, au profit de sacrifices moraux et sentimentaux qui ne cesseront de tirailler l’esprit même du plus généreux d’entre tous…