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    Le Poirier sauvage
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    Jean-luc G
    Jean-luc G

    63 abonnés 773 critiques Suivre son activité

    4,0
    Publiée le 10 octobre 2018
    Certes, l'envie personnelle de mieux connaitre la Turquie m'avait instillé un état de bienveillance pour aborder ce long film. Mais plus probablement, l'incontestable qualité de la mise en scène de Bilge Ceylan, sa finesse d'analyse des situations sont les véritables raisons pour lesquelles, je n'ai pas vu passer les trois heures de la projection .

    Le poirier sauvage, cet arbre qui pousse dans un terrain aride, est un solitaire comme nos principaux protagonistes, le père et le fils. La région des Dardanelles, sa position stratégique depuis l'époque de la Cité de Troie, donne un cadre authentique, à bonne distance de la tentaculaire Istanbul. Les paysages aux alentours sont sublimement mis en valeur par la photographie..

    Nous sommes dans une petite ville sans intérêt, mais où l'on bosse pour s'en sortir, plutôt que de suivre de longues études théoriques, comme le raconte ce petit patron du BTP, opposant une fin de non-recevoir à l'apprenti-écrivain en recherche de sponsor pour publier.

    Cette scène, comme plusieurs autres (le mariage "arrangé" de la copine de lycée, la discussion théologique entre les deux imams)porte un regard acéré sur les tensions qui traversent la Turquie. Se déterminer seul, ou s'abandonner au destin guidé par Allah. Ceylan nous invite dans d'alambiquées réflexions typiquement orientales, avec un sens de la répartie, de la joute orale, et en s'appuyant sur la connaissance de grands textes historiques et religieux.

    Ceylan centre son récit essentiellement sur le rapport entre deux hommes, deux vies de solitude, le fils et son père, sans ignorer complètement le personnage de la mère, désespérée, mais lucide: "il (son mari) nous ruine, mais ce pourrait être pire tel boire ou me frapper!"

    Ce n'est pas la première fois que l'on traite sur grand écran le rapport père-fils . Le fils Sinan est horripilant de par sa misanthropie rebutante, et pourtant, il reste touchant dans la recherche de sa propre voie de sortie. Sa confrontation avec l'écrivain régional à succès est déroutante, mais oh combien réaliste.

    Le père Idris assume les conséquences de son addiction au jeu. Il en a gardé une certaine liberté de pensée et un fatalisme qui rend supportable la misère économique de son quotidien. Nuri Ceylan nous entraîne sur les chemins de la rédemption possible entre les générations, sur l'acceptation que les chiens ne font pas des chats, et qu'un homme ne saurait rarement renier son sang. Ecrire, c'est donné à pas mal de monde, être lu, c'est plus rare, et par son géniteur cela devient inestimable. Filmé magistralement, les fruits du poirier sont d'une délicate saveur. Cinema - septembre 2018
    ANDRÉ T.
    ANDRÉ T.

    81 abonnés 484 critiques Suivre son activité

    4,0
    Publiée le 12 août 2018
    Voilà un film particulièrement ambitieux! (trop?)
    Il est tellement dense que les dialogues sous titrés, peuvent être difficile à suivre…. en même temps que l’image!!! (superbe)
    Problème de « vieux », peut-être….
    Comme Winter Sleep, il faudrait le voir plusieurs fois…..
    de grands moments:
    le dialogue entre Sinan et la jeune femme qui traite de la condition des femmes...
    le dialogue avec les 2 imams
    l’échange avec l’écrivain local « confirmé ».
    et en filigrane, la relation père-fils

    Ça se passe en Turquie mais tous les thèmes abordés sont universels…
    - construire sa vie
    - accepter le monde tel qu’il est ou bien tenter de le changer
    - la religion, son influence sur nos choix, sur nos comportements
    - l'exigence, l’intransigeance et l'arrogance de la jeunesse, le « lâcher-prise» ou la sagesse de l’âge mûr.

    Comme Terence Malick, ce cinéaste est singulier; on pourrait dire qu’il construit une oeuvre…..
    Bernard D.
    Bernard D.

    111 abonnés 613 critiques Suivre son activité

    3,5
    Publiée le 17 août 2018
    Dans « Le poirier sauvage » de Nuri Bilge Ceylan, Sinan au sortir de la faculté revient chez lui dans la petite ville de Çan en Çanakkale, province qui est le siège historique de la guerre de Troie. Il aspire à devenir un écrivain mais il veut s’affranchir du poids de la famille (cf. le mariage organisé de Hatice, une ancienne amie de lycée ; cf. le père de Sinan à travers sa passion dévorante pour le PMU et son amour viscéral de la terre mais qui ignore sa femme et ses enfants ...), du qu’en dira-t-on du village (cf. le puit que creuse le père pour trouver de l’eau près de sa maison refuge et ses rapports avec ses concitoyens du fait de ses dettes de jeu), de la religion, de l’histoire (cf. il est plus facile d’écrire un livre sur le tourisme ou l’histoire en Çanakkale qu’un « essai personnel » ). Sinan est assez froid dans ses rapports avec les autres et même sa famille, et il se définit comme un « écrivain misanthrope ». Il va comprendre que publier un premier livre s’avère bien compliqué (cf. la séquence dans la libraire avec un écrivant reconnu) … alors qu’il est plus facile de passer le concours pour être enseignant à condition d’accepter un poste dans l’est du pays, ou mieux encore de devenir policier ou militaire … Il arrivera à faire éditer son livre mais en Turquie « tu dois d’adapter » et - comme pour tout le monde à vrai dire - « la vie vient rejoindre ta vie » et le fils au père.
    Le film est esthétiquement assez réussi avec de belles images symboliques (le puits, la corde, le cheval de Troie, la neige, le baiser puis la morsure de Hatice …) et de belles plages musicales mais hélas nombre de scènes et dialogues sont vraiment très longs voire pour ma part inutiles, aboutissant à un film de 3 h 08 ! Dommage car comme « Mustang » de Deniz Gamze Ergüven (2015), ce film nous montre qu’une certaine fraction de la jeunesse turque (mais quel est son pourcentage réel ?) aspire à une vie délivrée du poids des traditions de la société. A souligner une conversation déroutante mais délicieuse entre 2 jeunes imams et Sinan montrant que le pays est probablement en réelle mutation.
    benjilamalice
    benjilamalice

    14 abonnés 15 critiques Suivre son activité

    4,0
    Publiée le 12 septembre 2018
    « Le Poirier Sauvage » est un film qui prend le temps de la nuance en développant des scènes de dialogues assez fleuves sur de grands sujets nécessitant de ne pas être traités par-dessus la jambe ( à chacune des rencontres du personnage principal correspond des thèmes comme la religion, la création (littéraire), l’amour, la vie, la famille, … ).

    L’originalité du métrage est que le personnage principal de Sinan que l’on suit durant tout le film est loin de nous être sympathique. Il se définit comme « écrivain misanthrope », ce qui le fait se sentir faussement supérieur à ceux qui l’entourent ( son père dont il semble avoir digéré le déclin de respectabilité, l’écrivain « populaire » dont il dénigre à demi-mot le succès basé sur des recettes parlant à un spectre plus large de personnes mais en s’oubliant en tant que personne, les imams qu’il pousse dans leurs retranchements et contradictions notamment sur la question de la liberté totale de l’individu qu’interdirait toute doctrine religieuse, un amour d’enfance inassouvi dont il se moque a posteriori, l’ex petit-ami de cette dernière dont il s’amuse de la séparation, sa mère et l’amour inconditionnel qu’elle porte à son mari malgré ses défauts, … ).

    La critique serait trop longue et laisserait peu de surprises si j’évoquais tous les thèmes et ramifications de ces derniers. Je peux parler de celui omniprésent de la recherche d’identité ( que présente-t-on de soi aux autres ? demande Sinan à l’auteur populaire ). Est-ce que se présenter dans sa vérité intéresse les autres ? si l’on prend en compte le roman semi autobiographique de Sinan.
    Il y a bien sûr le rapport au père qui est prégnant. De cela ressort un autre processus dans la narration qui est celui de la redéfinition constante des personnages qui ne restent jamais dans une caricature et dont la représentation que les autres se font d’eux évoluent. C’est une des forces du film.

    Sinan veut que son livre suscite une réaction. N’importe laquelle ( Polémique ? Succès ? Critiques négatives ?... ) mais une réaction. D’où le thème de la reconnaissance des autres qui semble important. En effet, Sinan a longtemps été considéré comme anormal, fou, spécial, différent par les autres. C’est en s’enfermant dans ce refus de la généralisation qu’il a développé les défauts qui sont les siens. Mais il se rend compte qu’il ne peut tirer que peu de choses de cette attitude auto-centrée et qu’il doit s’inclure dans un collectif ( une des leçons de son père ).

    Un mot rapide sur les paysages magnifiés et la Nature mise en avant ( l’usage des plans séquences permet au film de ne pas être poseur ). Ces derniers apportent de la vie et du mouvement aux corps des personnages. Ils sont immuables. Il y a aussi de façon discrète le passage d’animaux qui ont leur rôle à jouer dans le destin et le caractère des personnages.

    Pour dire de terminer cette critique forcément incomplète, le film mérite que l’on s’y penche, notamment du fait qu’il possède un rythme qui fait du bien dans la frénésie du cinéma standard actuel. Ce tempo est parfaitement adapté aux propos exigeants mais non pédants ( le passage sur la religion est sûrement celui qui demande le plus d’attention ). Il demande donc que l’on prenne son temps et que l’on soit dans une bonne disposition de l’esprit.
    Patjob
    Patjob

    34 abonnés 596 critiques Suivre son activité

    4,0
    Publiée le 15 novembre 2020
    Un film fleuve, dans lequel, à travers les rencontres et relations d’un étudiant, aspirant écrivain, qui revient au village et s’interroge sur ce que sera sa vie, Nuri Bilge Ceylan aborde quantités de thèmes. La conception de l’art, ici la littérature, et la difficulté à publier la première œuvre. La place et le rôle de la religion, ici l’Islam, dans le fonctionnement social, mais aussi dans la morale individuelle. La condition de la femme, ici dans la société Turque, dans une scène déchirante où apparaissent la résignation et l’auto censure de la jeune fille. L’addiction au jeu, et ses désastres sur la vie familiale et personnelle. Les relations père -fils, complexes, souvent conflictuelles et affectées par les non-dits. Questions universelles parfaitement insérées dans une réalité culturelle et sociale. Pour ce faire, le réalisateur adopte une forme qui fait penser à certains grands romans Russes (Dostoïevski), avec des scènes qui s’étirent et dans lesquelles les personnages décortiquent, même de façon désordonnée, les thèmes abordés. Les rencontres sont filmées avec ampleur, comme avec ces longs travellings avant ou arrière qui accompagnent la déambulation des personnages. Les quelques scènes conflictuelles étant, elles, filmées en champ / contre-champ. Le tout est ponctué de larges plans fixes magnifiques, assurant la pause et la transition. La qualité esthétique et la puissance émotionnelle ne sont toutefois pas au niveau du superbe « Winter sleep », et le film souffre d’un délayage excessif. Un grand film tout de même, avec une magnifique conclusion symbolique, pleine de signification, d’humilité et d’humanité.
    Marc L.
    Marc L.

    44 abonnés 1 585 critiques Suivre son activité

    4,0
    Publiée le 16 juillet 2019
    La palme d’or décrochée à Cannes en 2014 par Nuri Bilge Ceylan pour son ‘Winter sleep’ peut être considérée, surtout par ceux qui ne parviennent pas à l’encadrer, comme l’apothéose de son parcours de ‘cinéaste de festival’, pourvoyeur d’oeuvres immobiles qui, ordinairement pendant plus de trois heures, s’attardent ad nauseam sur les dilemmes intérieurs d’intellectuels torturés, entrecoupé de moments d’attente et de tranches de vie d’une indicible banalité. Après le vieil artiste qui périssait d’ennui dans sa maison d’hôte en Anatolie, il s’agit cette fois d’un jeune diplômé qui revient dans sa ville natale, déterminé à devenir un grand écrivain. A mesure qu’il retrouve les lieux et les visages familiers de sa jeunesse, on prend la mesure des moteurs de cette ambition, parmi lesquels l’arrogance d’un jeune homme instruit qui a besoin de se prouver qu’il vaut mieux que les “villageois” et une revanche inconsciente vis-à-vis d’un père flambeur et irresponsable, dont la désinvolture l’agace au plus haut point. Pendant trois heures, ‘Le poirier sauvage’ parle d’une évolution personnelle, du “mûrissement” - pour rester dans la métaphore fruitière - d’un être dont les yeux vont se déciller sur beaucoup de choses et qui, en passant à l’âge adulte, verra ses illusions et ses certitudes se dissiper devant l’évidente multiplicité des manières d’appréhender l’existence. On aurait vite fait de ranger un tel projet dans le case du cinéma d’Auteur avec un grand A, voire même dans celle de sa caricature imbitable dont il serait quand même de bon ton de pouvoir parler dans certains cercles. Ce serait justement ce jugement hâtif qui relèverait de la caricature : s’il y a de la posture chez Ceylan, s’il y a une conscience nette de sa propre dimension intellectuelle et une volonté d’imposer une filiation directe et prestigieuse avec le cinéma européen d’après-guerre, le réalisateur a les moyens de sa politique : tout au long de ses films, rien n’est jamais affirmé ni asséné, tout est suggéré, insinué, sous-entendu: refusant toute séquence explicative, Ceylan ne prend jamais le spectateur pour un crétin qu’il faudrait guider dans les méandres de sa réflexion humaniste. C’est également un cinéaste qui ménage un place inédite à des débats intellectuels et à des discussions philosophiques complexes : ainsi, contre toute attente, la discussion d’une vingtaine de minutes entre les deux imams, l’un qui questionne le dogme et l’autre qui y adhère sans réserve, est passionnante à suivre. Enfin, qu’il s’agisse d’un paysage sauvage, d’un panorama urbain ou d’un intérieur, tout est d’une maîtrise formelle absolue. Chaque plan est un tableau, dont les angles, la perspective et la lumière sont d’une étonnante beauté...et il faudrait faire preuve d’une inattention obstinée pour ne pas remarquer que le blanc et la grisaille de ‘Winter sleep’ ont été remplacées par des teintes plus chaudes et automnales, ocre, écarlate, rouille, comme pour signifier que le changement est à l’oeuvre. Les films de Nuri Bilge Ceylan, et ‘Le poirier sauvage’ n’échappe à la règle, possèdent une temporalité qui leur est propre, une pesanteur et une lenteur qui les rendent justement propices à l’introspection, aux rêveries et aux méditations. Ils réclament donc, et c’est assez paradoxal, concentration, volonté et assiduité de la part du spectateur, qui a tout intérêt à être dans de bonnes conditions pour profiter de la séance. Au moment où défile le générique de fin, on constate que le temps qu’on découvre la totalité du cheminement initiatique de Sinan, il s’est écoulé plus de trois heures...mais qu’on a n’a jamais trouvé ça long et, pire, qu’on a profondément aimé ça.
    anonyme
    Un visiteur
    2,0
    Publiée le 20 août 2018
    Je me suis fiée aux critique dithyrambiques et je suis allée voir. J'ai attendu deux heures qu'une 'histoire commence. (je n'étais pas au courant de la durée totale : plus de 3 heures). Puis j'ai d'abord commencé à m'agacer des dialogues interminables et pour la forme, de la la juxtaposition de scènes de vie sans grand relief. C'est une suite d'échanges entre un personnage central aux préoccupations hyper intellectuelles au delà du vraisemblable, avec ses différents interlocuteurs, le tout ponctué de ses déplacements et autres déambulations. J'ai fini par sortir après avoir épuisé toute possible curiosité quant à la suite. J'ai trouvé l'ensemble en fait assez assez navrant, tout au plus une sorte de documentaire sur la vie difficile en Anatolie. Je voudrais que ceux qui crient au sublime m'expliquent .Evidemment, il me manque la dernière heure, mais c'était franchement au delà de me possibilités.
    leotain
    leotain

    9 abonnés 80 critiques Suivre son activité

    4,0
    Publiée le 2 février 2020
    LE POIRIER SAUVAGE est un film sublime qui se laisse regarder tranquillement. Son charme opère sans que l'on ne sache pourquoi. On suit le retour du fils diplomé dans son village natal, qui se retrouve face aux problèmes d'addiction et de dettes de son père et à ses propres contradictions. Le film, doux amer, laisse le spectateur réflechir sur la religion, la condition de la femme ou tout "simplement" le sens de la vie.
    In Ciné Veritas
    In Ciné Veritas

    89 abonnés 922 critiques Suivre son activité

    3,0
    Publiée le 28 août 2018
    En une vingtaine d’années, patiemment, Nuri Bilge Ceylan a bâti une œuvre cinématographique déjà monumentale et maintes fois primée : près de cent prix obtenus dans divers festivals. La reconnaissance internationale du cinéaste turc est désormais définitivement acquise notamment depuis Winter sleep, lauréat de la palme d’Or du festival de Cannes 2014. Quatre ans plus tard, Ceylan ajoute une pierre gravée Le poirier sauvage à son Panthéon cinématographique. Dans la lignée des précédents films du réalisateur, ce long-métrage est pétri de qualités mais fait aussi apparaître quelques faiblesses de construction. Non, Le poirier sauvage n’est et ne sera pas la clé de voûte de l’édifice précité. Critique complète sur incineveritasblog.wordpress.com
    blacktide
    blacktide

    59 abonnés 795 critiques Suivre son activité

    3,0
    Publiée le 17 septembre 2018
    Summer Sleep

    Il est un fruit qui semble épouser les formes de l’existence : la Poire Sauvage et sa sublime imperfection. Difforme, âpre et dure, elle se cueille ainsi, pour devenir confiture, et libérer ses saveurs, son récit. La croquer, la goûter, c’est un peu comme approcher le Cinéma de Nuri Bilge Ceylan, nourri aux souvenirs, à la grâce des mots et à la spontanéité : un cinéma d’évidences dans l’approximation, d’exceptions dans les irrégularités, de questionnements en logorrhée et de recherche de saveurs perdues.

    Des premières neiges aux feuillages caressés par le vent, Ceylan manipule le temps, le scelle pour mieux en faire mûrir le fruit, cette création pleine de langueur, mon-automne, et de résignation, où les cœurs s’ennuient, et s’emplissent de peines. Le Poirier Sauvage est une œuvre fantomatique où le verbe règne sur un temps qui vacille. Le vertige nous gagne, les mots bourgeonnent et chutent comme autant de feuilles sur l’arbre de la Vie.

    Chaque scène est habitée par cette quête de la vérité, dans un tourbillon de rencontres d’éloquence et d’échanges étonnants. Sinan doute, bavarde dans le néant, et se confronte aux débats de son époque et de tout temps. Ceylan y questionne à travers l’égarement de son personnage, la religion, la création, l'écriture, l’identité collective, les traditions, l'argent, etc. Comme pour chercher un sens à la vie, cette chienne de vie, où le temps s'épuise comme un chien s'enfuit.

    Son geste se morcelle en décors, et les interrogations deviennent des lieux, semblables à un découpage du souvenir : dans les pierres rurales et l’arborescence du passé, Sinan découvre, trébuche, se rappelle, cherche querelle et se perd dans l’évocation de ce réel délaissé. A l’image de cette scène ombragée, d’une jeune fille tout juste sortie d’un songe ; à la faveur de l’automne, là où revient la douce mélancolie des âmes esseulées, et des amours recalés.

    L’échange tourne au sublime, alors que la beauté s’immisce dans le dévoilement saisonnier. Arborescence pour un amour impossible ? Car le bonheur n’est qu’éphémère quand le poids des traditions asphyxie la pureté des émotions. Une communion avec son passé, le temps d'un baiser sous un arbre, ou de ces Week-ends à la campagne.

    Le Poirier Sauvage invite à la confrontation, des Images en plan large et des mots inaccessibles. Paradoxal, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un personnage-auteur qui ne comprend pas le monde qui l’entoure : l’incompréhension se mêle à ses déplacements, et Sinan n’accède jamais à ce dévoilement. Le Poirier Sauvage figure l’errance dans la vie comme l'on écrit un roman : des maux comme liant, des fulgurances dans la formule, des personnages blessés et tourmentés, des divagations existentielles. Un réel d’impasses qui ne guérit qu’au moment de l’épilogue (ou pas), de dédicaces maternelles en silences de pendu.

    Puisqu’il n’y a aucune échappatoire : les puits se creusent sans eau, les romans s'écrivent sans lecteurs, les mariages se font sans amour. Mais au final, l'espoir semble s'immiscer pour un père et son fils, relation qui permet à la sensibilité de percer la froideur générale de l’œuvre : quelques paroles finales, simples, et un morceau de journal plié dans un portefeuille, suffisent pour révéler le cœur derrière l’apparence. La satisfaction d’avoir un lecteur, et creuser toujours plus profond jusqu'à ce que jaillisse l'amour.

    Car Le Poirier Sauvage est un film sur l’importance du regard (celui du cinéaste, de Sinan, ou du nôtre). Il y est maintes fois question de ces Images impossibles à capturer, notamment pour l’auteur et son livre éponyme : écrire pour capter l'insaisissable, à condition qu'on le voit. Les plans se nimbent alors de ces visions poétiques, de cette avalanche de symboles, et de cette nature sublimée par une photographie renversante. Il est d’ailleurs dommage de constater que Ceylan ait privilégié la parole de ses comédiens plutôt que celle de ses Images.

    Les opinions s’entrechoquent tout au long de l’œuvre de Ceylan : qu’il s’agisse de débats entre Imams ou d’altercations littéraires, celles-ci sont voués à chaque fois à la rupture, et n’aboutissent presque jamais à un consensus ou à un règlement. Tout comme la beauté qui se rompt sous l’étirement des conversations, et le foisonnement des idées. Puisque la démesure s’appose sur le film de Ceylan, et à pareille logorrhée, son geste agace plus qu’il ne bouleverse ou passionne. Les longueurs s'accumulent comme une vie d'errance, de vacuité et de néant. Modeste de critique, écriture d'artifices, ma compréhension s’égare, quelque part, dans les égarements de ce Poirier Sauvage, et de son fruit aussi goûteux qu’un somnifère parfumé à la philosophie.

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    anonyme
    Un visiteur
    4,0
    Publiée le 4 octobre 2018
    Ces dernières années on a été témoins d'une évolution remarquable dans le cinéma de Ceylan. Même si les longues scènes ont toujours été présentes dans sa filmographie, ses dialogues sont de plus en plus élaborés au point de paraître spontanés. Comme si deux amis se retrouvaient pour boire un café sans remarquer les caméras. Aussi, ses films deviennent de plus en plus longues, au-delà des trois heures de durée. L’exécution du symbolisme de chaque plan est plus peaufinée, ses images surprennent par sa beauté crue. Ses personnages, sympathiques au début, montrent petit à petit son coté obscur jusqu'à qu'ils deviennent tyrans et insupportables. Son scénario s'inspire de plus en plus de la littérature russe, notamment de Tolstoï et Dostoïevski. Comme exemple, dans Winter sleep, la scène où le gamin doit embrasser la main du protagoniste ou quand le père de ceci rejette l'argent, sont des passages adaptés de Les frères Karamazov. Avec le temps, Ceylan raffine son goût et polit son style.

    Le poirier sauvage suppose la sublimation de toute ce technique. Un sommet créatif pour un réalisateur en forme. Le film raconte l'histoire d'un jeune écrivain qui rentre au village. Ses rencontres avec ses proches ont lieu au même temps qu'il essaye de trouver l'inspiration pour finir son livre, qui donne titre au film. Un poirier sauvage donne des poires imparfaites, trop amères, et pourtant on peut cuisiner des vraies délices avec. Métaphore du père du protagoniste, mis à l'écart par ses voisin à cause des dettes et de son projet donquichottesque: creuser un puits dans un terrain sec.

    spoiler: L'histoire représente la mort de l'idéalisme de l'étudiant en ville qui se fait gifler par le monde réel le moment où il fait face à ses origines et à son futur. On nous présente un jeune sensible, ambitieux qui petit à petit se montre si cruel comme naïf, si manque d'empathie comme vaniteux. On a besoin de ces trois heures de durée pour que son évolution nous paraisse vraisemblable et pour que sa rédemption soit efficace. À fur et à mesure il se rend compte de la bonté de son père. de son authenticité, de son humilité et de comment les deux se ressemblent, malgré les dettes, malgré l'alcool, malgré la dépression. Le jeune ne remarque ceci que quand tout les autres gents s'avèrent médiocres: son premier amour est devenue une femme soumise, son voisin aujourd'hui est un CRS qui se vante de tabasser les manifestants contre Erdogan, ses camarades d'écoles sont devenus des religieux réacs, son travail laisse sa mère et sa sœur indifférentes et son auteur idole se vend aux cercles commerciaux.


    spoiler: Il faut souligner ce tout dernier passage, qui est montré dans une scène centrale du film. Un dialogue entre le jeune et l'auteur dans une librairie, sous le regard attentif de Kafka, Marquez, Woolf, Beauvoir et des autres affiches d'écrivains. Une critique à l'industrie de l'art et aussi aux artistes. Le jeune débutant plein d'espoirs qui se pense le prochain génie des lettres se trouve d'un coup face à un système où le plus important est de trouver son public à tout prix pour vendre des livres. Ici, c'est facile de voir Ceylan s'identifier avec son jeune personnage et ces grands noms des lettres comme source d'inspiration. La dispute avec l'écrivain finit avec une statue qui tombe d'un pont et la foule qui le poursuit, lui obligeant à se cacher dans la statue du cheval de Troie, sortant sa tête de l'intérieur. Ceylan remarque ici la personnalité cachée du jeune, obscure et sournoise, qui effleura tout au long du film. Aussi, cette scène marque le ton du film où on brise les limites de la réalité et des rêves, de la figuration et du symbolisme.

    Il y a plusieurs scènes qui méritent une mention par sa beauté, la plupart en relation avec l'onirisme et le symbolisme: spoiler: un bébé le visage plein de fourmis, un homme inconscient à côté d'un arbre, un corps qui pend dans le puits
    ... mais probablement le moment le plus beau soit le dialogue entre le jeune et son premier amour. Pendant que les carafes d'eau se remplissent dans la fontaine, le silence. Elle quitte son voile, on entend l'eau couler, le vent siffler entre les feuilles qui tombent des arbres, on voit les rayons de soleil se cacher entre les branches. Le poirier sauvage est un film puissant qui assure l’intérêt par l'oeuvre de Ceylan dans le futur.

    /////// Encore plus d'erreurs et de fautes sur hommecinema.blogspot.fr
    P.  de Melun
    P. de Melun

    55 abonnés 1 128 critiques Suivre son activité

    3,5
    Publiée le 14 mars 2024
    Mélancolique et superbe malgré sa longueur (3 heures !), « Le poirier sauvage » nous conte la destinée existentielle d’un jeune écrivain tourmenté, sous la forme d’un portrait âpre et rugueux. Les digressions et joutes verbales peuvent ennuyer car souvent assez longues mais les propos philosophiques qui en découlent amènent à la réflexion dans un pays où, justement, il n’est pas toujours possible d’exprimer ses états d’âme. La mise en scène contemplative de Nuri Bilge Ceylan donne dans un prosélytisme larvé mais elle parvient subrepticement à susciter l’émotion et l’empathie pour le personnage principal. Cette fresque est le fruit d’un défi réussi et maitrisé d’une grande intensité qui interroge le spectateur sur la filiation et la famille en même temps qu’il ouvre une réflexion sur la culture turque, scellée dans un conservatisme religieux inextricable.
    inspecteur morvandieu
    inspecteur morvandieu

    37 abonnés 2 382 critiques Suivre son activité

    3,5
    Publiée le 28 février 2024
    Ses études terminées et son diplôme d'enseignant en poche, Sinan revient dans sa ville de province, qu'il déteste, auprès de sa famille. Ses rapports avec son père, également enseignant mais parieur au point d'avoir précipité la famille dans la précarité, sont compliqués. Sinan est dans l'attente de la publication d'un livre qu'il a écrit et d'un improbable poste d'instituteur à pourvoir.
    Bilge Ceylan filme une Turquie authentique et populaire avec des plans d'une grande beauté formelle et porteurs d'une intensité dramatique qui semble écraser ses personnages (un peu comme le réalisateur Bruno Dumont en France et sa photographie grave des paysages des Hauts de France). Son art du cadrage et des couleurs, de la mise en valeur des panoramas introduit un hiératisme indéfinissable qui accompagne toujours l'errance de Sinan dans sa ville, de rencontres en rencontres.
    Entre symbolisme et poésie, entre non-dits et longues séquences dialectiques, Bilge Ceylan fait le portrait d'un jeune homme instruit qui parait, peut-être par manque d'expérience et d'humilité, dans une contestation permanente de ce qu'est la Turquie d'aujourdhui, intellectuelle et religieuse, familiale et sociale. Malgré sa longueur et des intentions ou des signes parfois obscurs, "Le poirier sauvage" (déjà une métaphore) nous attache à ce jeune adulte désespéré de la vie qui l'attend, rebelle et impuissant, peut-être amené à rentrer dans le rang. A cet égard, le dénouement imagé est d'une grande beauté et d'une belle émotion dans sa simplicité.
    Et merci à Bilge Ceylan de m'avoir fait découvrir la Passacaglia BWV 582 de Bach transcrite par Skotowski!
    anonyme
    Un visiteur
    2,5
    Publiée le 14 août 2018
    Moyen, très moyen. Je passe sur des dialogues verbeux et pleins de prétention, difficiles à supporter mais la vie d'un futur raté de la littérature n'est guère attrayante et ne réserve aucune surprise. Aussi l'ennui s'accumule au fil des heures. Rien ne vient nous soulager. Les paysages? Ils n'ont rien de particulier. Les personnages? A part le père et son côté humain les autres sont du tout venant et sans personnalité particulière. Le Héros? Qui peut s’intéresser à ce médiocre semblable à beaucoup d'autres. Le message optimiste? Vous avez trois heures pour le chercher.......et,finalement, qui sait.....l'imaginer
    janus72
    janus72

    48 abonnés 269 critiques Suivre son activité

    3,5
    Publiée le 25 novembre 2018
    Du Nuri Bilge Ceylan, tout en éllipse mais aussi en longueurs, questionnements et analyses de ce qui nous fait avancer dans ce monde.
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