Lorsqu'on a tourné un chef d'œuvre comme "Winter Sleep", la Palme d'Or la plus méritée du 21ème siècle, il devient très difficile de ne pas décevoir un certain nombre d'aficionados dans le film qui suit, quand bien même ce film est de grande qualité ! Mais, que voulez vous, alors que dans les 3 heures 16 minutes de Winter Sleep, il n'y avait pas une image de trop, pas un mot de trop, il se trouve que, dans les 3 heures et 8 minutes de "le poirier sauvage", il y a quelques images de trop, il y a quelques mots de trop. Cela étant, "Le poirier sauvage" est quand même un grand film, dont on s'étonne qu'il soit reparti bredouille du dernier Festival de Cannes, même si on sait qu'il avait été envoyé à l'abattoir : présenté le dernier jour, ce qui, pour un film aussi long, représente un handicap rédhibitoire.
Dans ce film très riche le personnage principal est un jeune homme d'une vingtaine d'années qui vient de terminer ses études et qui cherche à faire publier le livre qu'il a écrit : Sinan est arrogant, sur de lui et de sa valeur, et, s'il méprise à peu près tout le monde, il méprise particulièrement son père, un instituteur proche de la retraite, qui dépense l'argent de la famille en jouant sur les courses de chevaux et dont tout le village moque le creusement d'un puits qu'il a entrepris dans une terre aride.
"Le poirier sauvage" permet à Ceylan d'aborder finement, sans en avoir l'air, une grande partie des problèmes de la Turquie d'aujourd'hui, avec, en particulier, pour les jeunes, d'une manière générale, le choix entre un avenir médiocre et un autre encore pire. Plusieurs scènes sont particulièrement fortes mais on se contentera d'en retenir 2 : celle, bouleversante, où Sinan rencontre Hatice, une jeune fille brillante qui a fait le choix d'arrêter ses études et de quitter le jeune homme qu'elle aimait afin d'épouser un homme plus âgé, tout en étant consciente qu'elle ne connaîtra jamais la vie dont elle rêvait. L'autre, c'est celle où Sinan rencontre 2 jeunes imams ce qui donne droit à une conversation passionnante sur les religions, sur le Coran, sur l'importance qu'on doit accorder, ou pas, à la vérité. On notera que l'un des deux imams est interprété par Akin Aksu, le fils d'un voisin du réalisateur à qui il avait demandé s’il ne pouvait pas lui écrire des souvenirs où il évoquerait ses impressions concernant son père, son enfance, ses rapports avec sa famille et qui lui a adressé un e-mail de 80 pages qui est devenu le point de départ du scénario, auquel Akin a ensuite participé auprès de Nuri Bilge Ceylan et de son épouse Ebru. En fait, "Le poirier sauvage" est aussi, et peut-être avant tout, un film sur les relations père-fils, sur le rejet fréquent du père par un fils qui, petit à petit, à son corps défendant, va ressembler de plus en plus à ce père rejeté.
Très peu de musique pour accompagner les images et les dialogues : seulement une dizaine de fois, de façon courte et discrète, l'apparition d'un seul et même extrait de la passacaille en ut mineur BWV 582 de Jean-Sébastien Bach, pièce d'orgue à l'origine mais interprétée dans le film dans une transcription pour orchestre de Leopold Stokowski.