Quelle belle surprise que le film de Christophe Regin ! Et comme il s’agit, sauf erreur de ma part, de son premier film, quelle réussite ! Assez court, le film ne connait aucune baisse de rythme ni aucune faute de gout. La musique est discrète et efficace, les scènes sont bien calibrées, pas trop longues, les effets ne sont pas trop appuyés et il y a même, dans les dernières minutes (et notamment le dernier plan) une belle photographie. Alors bien sur, la réalisation de la « Surface de réparation » n’est pas flamboyante ou époustouflante mais Christophe Regin filme le monde du foot pro avec une tendresse de gamin qui se révèle au final assez touchante. Si j’ajoute à cela que le titre à double sens est très beau et que l’affiche ne n’est pas moins, et bien cela donne un premier film très soigné, très appliqué par un réalisateur dont il n’est pas impossible qu’on entende parler longuement à l’avenir. Je l’ai dit, Regin filme le football avec tendresse. Une des grandes qualités du film à mes yeux est qu’il parvient à décrire tout ce qui gravite autour du football pro (et qui n’est pas très joli-joli) sans jamais écorner le sport en lui-même ni même altérer le côté « supporter ». C’est difficile à expliquer mais « La surface de réparation » est un film qui évoque plein de choses difficiles et même douloureuses comme la difficulté pour les gamins de devenir pro (et l’immense gâchis humain que cela provoque), la difficulté de reconstruire sa vie lorsque son rêve s’est fracassé, le monde assez glauque des footballeurs pro (trop riches, trop immatures, trop flambeurs) mais sans jamais jeter le bébé avec l’eau du bain. Le film navigue sur la ligne de crête en conservant intact ce qui est magique dans le football professionnel à savoir le jeu, l’amour d’un club, et le bonheur tout simple que ces deux choses là combinées peuvent donner. J’en veux pour preuve ce vieux supporter qui ne gagne jamais au loto sportif car il s’obstine à mettre le FC Nantes gagnant toutes les semaines.
Ce vieux supporter qui, dans les dernières minutes du film, indique à Franck la voie qu’il doit suivre, mine de rien, juste avec une main posée sur son bras.
Souvent, quand le cinéma français s’attaque au sujet du football c’est pour le caricaturer ou le dénigrer dans son ensemble (surement une sorte de snobisme !) mais là, c’est différent et je suis gré à Christophe Regin d’avoir réussi ce pari difficile. Cela dit, le film est malgré tout sans concession et met en lumière les dessous pas très propres d’un club professionnel : l’argent qui circule sous le manteau, les joueurs qui couchent avec des filles dont ils connaissent à peine le nom, qui dépensent des milliers d’euros en ayant perdu toute valeur de l’argent, les dirigeants qui ne font plus confiance à la formation des jeunes et ne cherchent que les coups d’éclat (une des plaies, assurément, du football français d’aujourd’hui) et aussi l’immense gâchis humain que les centres de formation charrient chaque année en laissant sur le bord de la route des gamins à qui ils n’ont, au passage, pas donné les moyens scolaires de rebondir. Tout cela n’est pas éludé par le film, au contraire et à l’image de Franck, ce type un peu paumé, esclave volontaire d’un club bien content d’avoir quelqu’un pour faire les basses besognes du foot pro. Sans réel domicile fixe, sans statut, sans avenir, le destin de Franck ne tient qu’à un fil. En fait, ce qui le rend immédiatement attachant, c’est que sous des apparences de type solide, c’est un gars complètement dévasté, qui n’arrive pas à rassembler les mille morceaux de sa vie explosé façon puzzle. Son rêve, son unique rêve s’est arrêté brusquement. Ce n’est même pas une blessure qui l’a écarté du foot, c’est juste que malgré tous ses efforts il n’était pas assez bon. Il y a une forme d’injustice terrible dans l’histoire de Franck, il pourrait ruminer son amertume et pourtant, il reste fidèle au jeu, au club, c’est tout ce qui lui reste de ses espoirs déçus alors il s’y accroche désespérément. Quand il conseille les gamins du centre de formation, c’est son parcours qu’il revit et leur échec le bouleverse au-delà du raisonnable. Franck est un personnage qui aurait tout pour être pathétique mais qui ne l’est jamais. Ce n’est pas forcément le cas de Salomé, cette nana paumée elle aussi, qui courre les footballeurs pro dans l’espoir à peine dissimulé de se faire entretenir. Elle en revanche est souvent pathétique, et on imagine qu’il y en a des tas, des nanas un peu paumées et qui serve de « chair à canon » aux joueurs pros. Je n’ai pas encore parlé du casting parce que je voulais garder le meilleur pour la fin et le meilleur, c’est Franck Gastambide. Le voilà, le premier vrai grand rôle de Franck (écrit spécialement pour lui au point de lui laisser son prénom), lui qui roulé sa bosse en partant de zéro et en passant par le dressage de chien, puis la figuration, puis les seconds rôles sans oublier d’écrire, de réaliser aussi. Ca fait un moment que j’espérais voir cet acteur donner corps à un premier rôle et bien ça y est ! Et franchement, il est parfait de bout en bout, il m’a même fait pleurer par moment tellement il rend son personnage touchant sans jamais en faire des tonnes. Si le personnage de Franck n’est jamais pathétique, c’est en grande partie grâce à lui et son jeu fin, sans fioriture, tout en sincérité. Franchement, à l’écran on ne voit que lui au point d’éclipser un peu Alice Isaaz et même Hippolyte Girardot, qui pourtant livrent eux aussi une partition très juste (et dans le cas du rôle de Salomé c’était difficile de ne pas en faire trop ou de caricaturer). En résumé, je sors assez emballée du film de Christophe Regin, ce n’est pas un chef d’œuvre mais qui m’a touché, je le trouve pertinent, subtil, juste dans le ton qui convient. Je ne sais pas si un allergique au football y trouvera son compte, s’il comprendra la psychologie de Franck ou son destin. Mais sur moi en tous cas, le film à fait mouche et j‘en suis sortie toute émue, ce qui ne m’arrive pas toutes les semaines. Alors rien que pour cette émotion là, merci Christophe Regin, merci Franck Gastambide.