Quelle ouverture ! En l'espace de quelques minutes, nous voilà projetés sous les balles essuyées par le fourgon de quatre malfaiteurs en fuite. Quatre malfaiteurs, oui, mais aussi quatre maris/compagnons dont l'existence criminelle a vampirisé l'intimité partagé avec leurs femmes/compagnes comme nous le rapportent fugacement ces instants passés de leurs couples au milieu de la fusillade qui leur sera de toute évidence fatale. Un baiser carnassier échangé entre Veronica (Viola Davis) et son mari (Liam Neeson), les bleus sur le visage de femme-enfant d'Alice (Elizabeth Debicki, impressionnante) ou encore la dépendance financière de Linda (Michelle Rodriguez) vis-à-vis de son mari pour maintenir son commerce à flot... Il suffit simplement à Steve McQueen de quelques scènes pour traduire à l'écran les années sacrifiées par ces femmes, par choix ou non, en vivant dans l'ombre de leurs hommes. Même si la mort leur arrache la présence de ces derniers, leur influence, elle, perdure et se cristallise notamment par la menace d'un candidat politique dont l'argent de la campagne électorale était en réalité la cible du dernier coup des quatre criminels. Dans le but de rembourser cette dette post-mortem et également assurer leur avenir, ces femmes que tout oppose vont s'allier sous l'impulsion de Veronica et commettre le braquage qui leur permettra de définitivement tourner la page de leurs anciennes vies...
Cinq ans après l'oscarisé "12 Years a Slave", Steve McQueen revient donc à la mise en scène avec un thriller forcément pas comme les autres et, qui plus est, basé sur un scénario coécrit avec la romancière Gillian Flynn ("Gone Girl") lui-même adapté d'après une série TV britannique de Lynda La Plante.
Bien entendu profondément féministe par la seule force de survie et la volonté d'indépendance de ces femmes trop longtemps bridées par une présence masculine, "Les Veuves" évite soigneusement de tomber dans les travers trop codifiés de ce type de thriller en choisissant de tisser une toile autour d'une nébuleuse de personnages tous amenés à jouer un rôle prépondérant dans la destinée de ces héroïnes. Que cela soit un système électoral gangrené par la corruption et autres méthodes de gangsters, les répercussions dramatiques de problèmes sociétaux capables de bouleverser une simple vie ou le portrait émotionnel de chacune de ces braqueuses d'un soir, la réalisation de McQueen se déguste comme une mosaïque où chaque scène trouve sa raison d'être à la fois en elle-même mais aussi dans le puzzle bien plus vaste à l'intérieur duquel elle s'imbrique. Avec ce choix astucieux de mise en scène toujours prompte à décupler la puissance de l'écriture si juste de Gillian Flynn, "Les Veuves" s'offre un terrain de jeu assez conséquent mêlant les thématiques chères au réalisateur et à la romancière tout en n'oubliant pas de se concentrer sur des portraits de femmes blessées mais prêtes à tout pour s'en sortir.
À cette alliance qui ne faiblira jamais, se rajoute le talent de comédiennes pleinement conscientes que le film leur offre des moments en or pour véhiculer toute la détresse et la force de leurs personnages. La détermination de Veronica malgré des aléas de plus en plus dangereux autour de son plan, la fragilité de Linda sur sa nouvelle condition ou encore Alice prête plus ou moins consciemment à choisir la facilité de voir sa vie à nouveau gouvernée par un homme, "Les Veuves" capte invariablement à merveille la lueur d'abord vacillante qui anime ces femmes afin d'en dévoiler la nouvelle lumière de plus en plus éblouissante par la seule force de leur union. Les hommes auront toujours un rôle déterminant dans leur parcours (Colin Farrell, Robert Duvall, Daniel Kaluuya ou Liam Neeson sont d'ailleurs tous excellents) mais ils ne seront désormais plus que des pions et non des joueurs sur la route commune tracée par ses veuves jusqu'à un braquage final intense, court et réaliste où leur liberté devra passer par le sang.
Certes, "Les Veuves" a parfois les défauts de ses qualités. Le grand nombre de personnages qui l'habite étant toujours traité à parts égales, un sentiment d'éparpillement peut parfois se faire sentir (surtout dans les premiers instant). De même, le côté romanesque amené par le twist principal peut sembler en inadéquation avec le ton réaliste voulu en permanence.
Mais lorsqu'un plus grand dessein apparaît dans le premier cas et quand la finalité du twist est révélée dans le deuxième afin de proposer une représentation physique de la prise d'indépendance d'un personnage vis-à-vis de son passé, ces petites remontrances disparaissent aussitôt devant un film de braquage savamment construit autour d'une réalisation en parfaite adéquation avec son support scénaristique et la prestation de ses comédiennes.
Le film ne restera sans doute pas comme l'oeuvre la plus majeure de Steve McQueen dans notre mémoire collective de cinéphiles mais, en matière de proposition de thriller articulé autour de thématiques contemporaines ô combien pertinentes, force est de constater que ces "Veuves" auront tenu on ne peut plus la route.