Les veuves (2018
De temps en temps, lorsque vous êtes au cinéma, vous vous retrouvez face à des films qui vous donnent envie de quitter la salle tant ils sont désopilants et parfois vous vous retrouvez face à une pépite rare qui vous laisse béat. L’œuvre vous plait tellement que lorsqu’on essaye de vous la gâcher en vous perturbant ou en faisant un commentaire inapproprié par exemple, vous devenez instantanément irascible et peu gracieux quant à vos propos… C’est exactement ce qu’il s’est passé durant la séance des veuves. J’étais accroché à mon fauteuil du début jusqu’à la fin mais les individus autour de moi semblaient pris d’un grand déterminisme lorsqu’il s’agissait de me pourrir la séance. Comme l’a hurlé une spectatrice : « une salle de cinéma, c’est fait pour rire, pour pleurer, pour vibrer » on n’est pas dans un salon de thé, on n’est pas là à faire des caprices parce qu’on n’est pas à côté de son pote préféré, on est là pour écouter des dialogues, pour se laisser bouleverser par un texte profond, on est là pour tomber amoureux d’un Art qui nous dépasse. Alors messieurs les enquiquineurs, restez dans votre salon si vous n’êtes pas capables de vous comporter en adulte ou si vous n’êtes pas en mesure de tenir votre langue lorsque Viola Davis roule de grosses pelles à Liam Nesson. Bref mes chers amis, mon expérience a été chamboulée par le comportement houleux de quelques mauvais farceurs mais le film m’a procuré tout ce que j’attendais de lui…un vent d’air frais dont le paysage cinématographique avait bien besoin. Mais je ne suis pas là pour vous surcharger de métaphores, je m’attaque au plus gros morceau : la mise en scène.
Steve Macqueen fait partie de cette génération de réalisateurs noirs qui ont fait bouger les choses…Son nom est inscrit juste à côté de celui de Spike Lee car sa réussite est indiscutable ; rappelez-vous de Shame et Hunger, les œuvres qui ont révélé Mickael Fassbender au grand public ; souvenez-vous de 12 years of slave, ce film politique où l’Amérique en prenait pour son grade tant elle était décriée. Un trio poignant de longs métrages durs, violents, démonstratifs où les usages habituels sont mis de côté. Avec les veuves, nous avons le droit à un ton plus léger, une œuvre feel good dans la filmographie de McQueen qui se veut méchamment efficace tant la tension est au rendez-vous. Chaque scène a son lot de rebondissements, de coups d’éclat, d’effervescence. On est serein pour les personnages, on les croit à l’abri dans leur tour d’ivoire et le mal survient des entrailles de la terre pour les bousculer. Le rythme du film est donc déstructuré car la volonté du réalisateur est de jongler avec nos émotions ; la violence de certains passages est donc abrupte et la mise en scène est vicieuse car elle contraste avec des instants de joie, de réconfort, d’espoir. C’est comme si la time line était un joli château de sable mis constamment à l’épreuve du vent. Et c’est pour cet élément précis que le metteur en scène est très convaincant. Il met une corde autour du cou de ses quatre protagonistes et il vous dit droit dans les yeux : « regardez, il peut leur arriver quelque chose à tout moment ». De plus, il ne se gêne pas pour mettre sur le devant de la scène des sujets qui fâchent : la violence envers les animaux, les bavures policières, les crimes raciaux, les violences domestiques, les abus de pouvoir, le népotisme, les conséquences de l’avidité, la façon simpliste de se procurer une arme sur le sol Américain... Une nouvelle fois Mcqueen plante le décor et dévoile au grand jour une ville recouverte de meurtrissures, une ville de Chicago à la fois sublimée et éclaboussée de reproches, une ville qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma et qui offre un décor fonctionnel, nuancé, fracturé… On passe d’un beau quartier à un territoire malfamé, d’un loft à un entrepôt, d’un QG de campagne à un salon de coiffure et cela tout le long. C’est un mélange des classes qui n’est pas anodin et qui sert l’intrigue. J’ai énormément apprécié cette façon qu’avait la caméra de dévoiler peu à peu l’esthétisme d’une pièce ou alors son gigantisme, sa démesure, cette manière dont elle filme l’excès ou l’étalage de richesse. Très souvent nous sommes avec un personnage, le cadre est resserré sur lui comme si celui-ci était dans une prison personnelle. J’ai été scotché par la justesse des plans, l’équilibre de la caméra, l’harmonie des décors, la présence du violet, du calme avant la tempête dont nous sommes témoins de l’intro jusqu’à la conclusion.
Pour ce qui est du message féministe, il est subtilement introduit, nous avons affaire à des femmes qui ont subi le joug de mâles dominants, qui se sont écrasées devant l’adversité, qui sont restées aveugles et qui ont décidé d’ouvrir les yeux, de dépasser leur condition de femme, d’aller au-delà des idées reçues, de tenir tête au machisme local, de crier « non, nous ne sommes pas faibles ; non, nous ne sommes pas à votre botte ; non, nous ne vous appartenons pas ». Il y a là une vraie émancipation, un sentiment de ras le bol, une envie de dire « ça suffit » et mon dieu que ces portraits de femmes sont séduisants, on les montre accablées, bonnes à rien, hantées puis elles vont à l’encontre de ce qu’elles étaient et font plier l’homme. J’aime ces femmes qui sortent les crocs car elles ne veulent pas être celles qu’on leur impose d’être : des objets sexuels, des faire- valoir, des princesses inoffensives.
Le casting est remarquable, je tirerai ma révérence à Viola Davis et à Elisabeth Debicki qui ont toutes les deux porté le film mais aussi à un Colin Farell provocateur, manipulateur mais écrasé par le poids de sa famille. Enfin je voudrais encenser Daniel Kaluuya car il nous offre un personnage dérangeant, dangereux et obstiné quand il s’agit de faire souffrir.
Bon pour clôturer ce ressenti, je dirai que ce film est étincelant de par sa mise en scène mais aussi grâce à son casting ; c’est émouvant, vibrant, parfois drôle, méchamment satyrique et puis…C’est du Steeve Mcqueen !! Foncez le voir en salle, les amis.
Un ressenti rédigé par le sensei du cinéma.