Je suis un peu embarrassé par mon relatif manque d’enthousiasme vis-à-vis de ce ‘Roma’, détenteur d’un Lion d’or à Venise et de deux Golden Globe, et qui est sans doute la production Netflix dont on parle le plus dans les milieux qui comptent depuis ‘Okja’ en 2017. En dehors de mon ressenti instinctif que je ne m’aviserais jamais de contredire, je comprends parfaitement en quoi ‘Roma’ peut être considéré comme un très grand film, au point de vue intellectuel et au point de vue artistique. D’abord parce qu’il s’agit d’un travail très personnel pour Alfonso Cuarón, totalement éloigné des blockbusters qui l’ont fait entrer dans la cour des grands depuis une vingtaine d’années. Le cinéaste y puise dans les souvenirs de son enfance mexicaine durant les années 70 pour rendre hommage aux domestiques que sa famille employait, figures à la fois invisibles et essentielles, qui faisaient partie de la famille sans en faire tout à fait partie et dont on s’inquiétait sans vraiment s’en inquiéter. Sans misérabilisme, sans volonté de dénoncer l’inégalité mais sans davantage d’intention d’idéaliser ses souvenirs, il les dépeint comme des personnalités vouées à l’oubli de soi et à une forme de souffrance silencieuse, car tel est leur statut. Outre le nom du quartier de la capitale où la famille réside, ‘Roma’, c’est aussi l’anagramme du mot “Amour’ et il est beaucoup question dans le film d’amour, qu’il soit contrarié, trahi, brisé ou au contraire indéfectible selon ceux qu’il touche...et c’est sans doute aussi un clin d’oeil à Fellini, dont Cuaron reconnaît la double-influence, à la fois néo-réaliste et baroque, dans une réalisation qui expose parfois la vie telle qu’elle est, alors qu’il se perd dans la contemplation et la rêverie à d’autres moments, en jouant sur le contraste implicite entre le mouvement et l’immobilité, comprenez entre la vie et la mort. C’est un film qui prend le pouls d’une période agitée de l’histoire du Mexique, pays à la modernité hésitante gangréné par une violence d’état et des rapports sociaux complexes et plutôt que de raconter une histoire, procède par apposition de couches mémorielles successives, où la temporalité serait sans grande importance. C’est surtout un film visuellement magnifique, tourné dans un noir et blanc somptueux, avec des plans-séquences époustouflants et un génie du cadrage qui sublime la banalité du décor et transforme chaque plan en tableau vivant, à la façon des moments les plus éblouissants du cinéma de Béla Tarr. Pourtant, et j’en suis le premier désolé, si je n’ai aucun mal à lui reconnaître ces qualités dont on fait effectivement les chef d’oeuvre, je dois avouer avoir eu beaucoup de mal à entrer dans le film et à me passionner pour les heurs et malheurs de cette famille joyeusement désordonnée de la classe moyenne. Peut-être parce que ‘Roma’ n’entre jamais tout à fait dans l’onirisme, et se raccroche toujours à son schéma et à son rôle d’hommage et d’auto-psychanalyse ? Je n’ai pas d’explications. Tout de même, je peux au moins lui concéder qu’il s’agit d’une des rares productions Netflix à ce jour, qui a les épaules et les moyens de faire date dans l’histoire du cinéma...