Très polyvalent et efficace dans l’exercice du fantastique avec « Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban », de la science-fiction en signant « Les Fils de l’Homme » et du sensationnel thriller « Gravity », Alfonso Cuarón a conquis Hollywood et donc bien des studios américains. Or, il finit par retourner sur la terre de ses ancêtres afin d’y trouver fortune et rendre justice à un peuple qui a lui aussi son histoire et ses cicatrices. Pour cela, il use d’une photographie adaptée au mouvement qu’il souligne presque à chaque séquence. Sa composition reste dans un symbolisme qui peut être difficile à capter, mais à défaut, il nous livre un divertissement qui saura nous bouleverser.
Le chaos, c’est ce qui définit le doute à travers les formes les plus parfaites. Dès l’ouverture, on nous dévoile le parcours nuancé de l’héroïne, qui contemple la vie, sans qu’elle ne lui réponde favorablement. Il s’agit de Cleo (Yalitza Aparicio), domestique indienne dans la demeure de bourgeois, dans un quartier qui constitue toute l’enfance du réalisateur. Entre les chamailleries des enfants et le relations de couples qui se dégradent, cette dernière n’aura pas non plus son mot à dire et accumulera son lot de désespoirs, synonyme de fatalité. À ses côtés, nous avons droit à une fresque contemplative de ce que Mexico évoquait autrefois, la violence et l’insouciance. Chaque rencontre avec Cleo la ramène à ces deux notions, qui entrent en harmonie dans un drame ultime, qui pourtant n’est qu’une énième réalisation depuis Tlatelolco. La mutation sociale a eu un impact sur des vies et c’est ce rapprochement avec la banalité qui finira par nous séduire. Avouons alors que le travail de mise en scène est grandiose. L’œuvre justifie tous ses dialogues et les réduit au minimum afin que l’on fasse corps avec l’environnement monochromatique.
Immersif jusqu’à l’os, il n’est pas nécessaire d’être familiarisé avec les situations qui dépassent les protagonistes pour souffrir d’empathie. C’est là qu’est la force des émotions chez le metteur en scène, qui use de plans fixes sans négliger le mouvement et la composition. Lorsque le premier plan sublime notre visionnage, l’arrière-plan occupe tout le suspense, lié à l’action en cours. Étant donné le caractère descriptif de la chose, il n’y a que le visionnage qui aura la force de nous garder en alerte. Un regard, une démarche ou une pensée sera perceptible dans l’œil d’un spectateur attentif. On ne détourne pas les drames, on les confronte dans le réalisme. L’environnement sonore aide beaucoup à s’imprégner de cette vision métaphorique de la vie et son exact opposé. Une alliée est conseillée pour surmonter les épreuves et il s’agit presque souvent d’une aura féminine. Sofia (Marina de Tavira), l’employeur de Cleo cherche à fuir et à dissimuler sa peine, alors que la mission des deux femmes est de protéger les enfants, leurs enfants. Parfois anecdotique dans le traitement des séquences qui servent d’introduction, on finit par entrevoir de la cohérence dans l’intrigue, qui parsème bien des surprises en chemin. Elles se montrent parfois cruelles, mais elles peuvent également montrer de la douceur, chose que chaque personnage convoite dans la peine et le malheur.
Cependant, il faudra noter que l’initiative Netflix contourne bien des procédures de diffusion afin que la majorité soit touchée, ce qui est une bonne chose. Mais cette visibilité est sujet à controverse lorsque cela impacte directement les conditions de visionnage. Le film aurait amplement mérité le détour en salles obscures, mais la vérité est qu’il n’aurait pas vu le jour autrement, car le projet peu semble ambigu sur le papier et peu gourmande de bénéfices financiers. Retenons alors que « Roma » est un extraordinaire récit intimiste d’une famille mexicaine, là où Cuarón retranscrit sa jeunesse perdue dans les caprices d’une société révolutionnaire. Autobiographique dans son squelette, son œuvre achève un portrait testamentaire des personnes qui ont vécu le drame ou qui ont juste eu le souvenir douloureux d’avoir perdu une partie de soi dès la naissance.