"Don't walk away, in silence..."
S'il y a bien une chose que le cinéma de genre australien nous a pris, c'est que le pays a une densité de personnages déviants au moins équivalente à celle des kangourous. Prenez ce quartier pavillonnaire de Perth par exemple, tranquille comme tant d'autres a priori, rien d'extravagant. Pourtant, en cette année 1987, une gangrène ne fait que s'y étendre, les disparitions de jeunes filles s'accumulent dans l'indifférence générale. C'est le terrain de chasse idéal choisi par Evelyn et John White, un couple dont la dangereuse marginalité s'est acclimatée à la normalité des apparences. Lorsque leur route croise celle de Vicki, une adolescente meurtrie par la séparation de ses parents, ils fondent sur leur proie et la séquestrent. Le début d'un long calvaire dont personne ne sortira indemne...
Ben Young. Encore un nom de réalisateur à rajouter à la longue liste de cette espèce de nouvelle vague du cinéma australien qui ne cesse d'impressionner en livrant des survivals à la radicalité glaçante.
Pas forcément novateur du côté de l'intrigue, "Love Hunters" ne révolutionnera d'ailleurs rien avec la captivité de cette jeune fille aux mains de ce couple aux intentions peu recommandables (il se montrera même maladroit pour rendre réellement efficace la surprise de son dénouement) mais, par sa maîtrise pour nous la raconter, son travail sur les personnages, son intensité formelle et son réalisme éprouvant, ce premier long-métrage ne va cesser d'impressionner.
Évidemment, tout commence avec ce couple de prédateurs sexuels qui nous ait présenté où le dominant (John) est parvenu à tirer profit des fragilités de sa compagne dominée (Evelyn) pour l'entraîner dans cette série de rapts meurtriers pour assouvir sa seule jouissance perverse. Face à l'emprise psychologique exercée par John (le contraste entre la médiocrité de cet homme dans le monde extérieur et la terreur qu'il fait règner dans sa demeure est saisissant), Evelyn apparaît vite comme le personnage le plus instable du récit et on devine que son inévitable explosion dichotimique entre la prise de conscience d'être manipulée et ses réels sentiments pour John aura des répercussions tragiques à la fin du récit.
Ainsi, quand Vicki rentre en jeu, une victime rapidement consciente des failles de ses kidnappeurs à exploiter, leur modus operandi bien installé semble se fissurer de toutes parts. L'étrange miroir qui va s'installer entre l'adolescente blessée par le départ de sa mère et Evelyn elle-même désemparée face à son propre manque maternel va être l'élément déclencheur de cette lente rupture aux conséquences encore inconnues pour les trois protagonistes.
Si le malaise des interactions de ce trio improbable est aussi palpable, c'est en grande partie grâce aux trois acteurs avec une mention spéciale à Emma Booth, absolument incroyable dans le rôle d'Evelyn pour rapporter toutes les émotions contradictoires qui habitent ce personnage brisé par la vie et désormais sous la pire des influences possibles.
Derrière la caméra, Ben Young a la bonne idée d'éviter le voyeurisme auquel ce genre de récit est trop souvent réduit, choisissant de détourner son (et notre) regard des scènes les plus éprouvantes et laisser notre imagination faire le reste (les regards tordus de John en disent bien plus longs que tout le reste de toute manière). Le réalisateur préfère ancrer son film dans la réalité plus cruelle pour monter en intensité : celle du monde extérieur dont il fige le temps par des ralentis comme si ses habitants vivaient dans une sorte d'instant présent éternel sans ouvrir les yeux sur la menace qui rôde (le comportement de la police et des voisins dans le dernier acte en sera une traduction encore plus prononcée) et, bien évidemment, celui du monde intérieur de la maison où les tentatives de gagner quelques heures de plus de Vicky face aux monstruosités qui la guettent semblent avoir remplacé toute autre notion temporelle.
Par sa maîtrise formelle, Ben Young transcende la finalité attendue de son histoire en lui donnant une puissance émotionnelle rare. À l'image de ses dernières minutes évanescentes où retentit "Atmosphere" de Joy Division pour en faire éclater toute la portée, "Love Hunters" aura diffusé cette densité percutante en permanence.