Tout au long de sa carrière, Richard Linklater s’est fait une spécialité de saisir des instantanés d’une époque définie à l’avance et de tenter de découvrir ce qu’ils disent de son pays : si on regardait l’ensemble de sa filmographie d’une traite, on obtiendrait une sorte d’immense tapisserie expliquant l’Amérique des cinquante dernières années. Cherchant traditionnellement la vérité dans les souvenirs des jeunes générations successives, le réalisateur s’est fait cette fois plus explicite, et observe le cours des choses à travers ceux qui ont eu le temps de le voir défiler. Nous sommes en 2003 : l’époque a changé, l’humeur aussi : on est loin de l’hédonisme de ‘Dazed & confused’ et de la gaudriole de ‘Everybody wants some’. Empêtrée dans la guerre d’Irak, l’Amérique découvre, effarée, que ses représentants élus lui mentent, et la génération qui a combattu au Vietnam dans un conflit absurde apprend que ses fils meurent au loin pour des motifs tout aussi obscurs. C’est justement le père d’un soldat tué au combat, flanqué de deux anciens compagnons d’armes, un barman cramé et provocateur et un ancien toxico qui a trouvé Dieu, qui tente de soustraire le cercueil de son fils à la propagande militaire pour pouvoir l’enterrer et lui dire au revoir en toute simplicité, dans le caveau familial. Tout au long du voyage, ces trois personnalités dissemblables vont discuter et se chamailler sur la religion et le patriotisme, s’émerveiller ou déplorer le fait que leur pays a à ce point évolué depuis leur jeunesse, et tenter de fermer des blessures qui suppurent toujours depuis la chute de Saigon. Si le scénario dégage une certaine noblesse et si les trois acteurs développent une alchimie qui serait presque capable de sauver le film à elle-seule, c’est peut-être par sa facture très explicite que pêche un peu ‘Last flag flying’ : pour une fois, Linklater a clairement un message à faire passer, sans doute le trouble et la perte de confiance des gens de sa génération envers un pays dans lequel ils ont grandi et qu’ils ne parviennent plus à reconnaître. Auparavant, il procédait par touches impressionnistes : les tirades décousues de jeunes autour d’un joint, leurs idées arrêtées, leurs vannes potaches et leurs bravades agissaient comme autant de révélateurs de l’Amérique de ces années là. ‘Last flag flying’, lui, avance sur des rails conçus pour amener à destination un trio d’acteurs performants, qui ont l’opportunité d’y gagner une flopée de prix d’interprétation grâce à une production “qualité américaine”, i mêle sérieux et humour dans un bel équilibre, et s’adresse à la mauvaise conscience de l’Amérique. Voilà qui n’enlève rien à l’intérêt du film, plutôt honorable à tous les niveaux, mais sans doute quelque chose à la spécificité des productions Linklater.