A 40 ans, le réalisateur italien Marco Danieli nous propose un premier long métrage de fiction qui mélange une histoire d’amour entre deux jeunes gens aux passés très différents avec un volet très bien documenté sur les témoins de Jéhovah, une religion (une secte ?) peu souvent présentée au cinéma et qui est beaucoup plus implantée en Italie qu’en France : près de 500 000 fidèles de l’autre côté des Alpes contre 250 000 de ce côté ci, 250 000 évangélisateurs réguliers contre 130 000.
A 18 ans, Giulia est une jeune fille comme les autres, une jeune fille qui va au lycée et se montre particulièrement brillante dans ses études au point de devenir la première à gagner une olympiade de mathématiques en venant d’une section technique. Une jeune fille comme les autres ? Pas tout à fait, toutefois, car elle a été élevée dans le cadre de la communauté des témoins de Jéhovah et elle suit à la lettre les préceptes de cette religion. Encouragée par sa professeur de mathématiques, Giulia aimerait poursuivre ses études mais sa mère cherche à la convaincre qu’aller à l’université l’empêcherait de consacrer le temps nécessaire à la doctrine des témoins de Jéhovah. La rencontre avec Libero, le fils d’une femme qu’elle cherche à évangéliser, va bouleverser la vie de Giulia. Comme il sort de prison, elle va d’abord faire en sorte de l’aider à trouver un travail et, très vite, s’enticher de lui au point de s’écarter de sa communauté sans perdre totalement la foi pour autant.
C’est particulièrement la crainte de se retrouver isolée dans un monde qu’on lui a toujours décrit comme étant dangereux et cruel qui explique les hésitations de Giulia face à cet amour qui nait en elle. Des hésitations qui sont en contradiction avec une volonté qui devient de plus en plus forte chez Giulia : à l’image de Libero (prénom qui n’est pas là par hasard !) dont on sent dès le début qu’il n’aime pas se faire dicter sa conduite, la jeune fille aspire de plus en plus à conduire elle-même sa vie. Les dictats de la communauté et de ses parents lui sont devenus insupportables mais les fuir ne signifie pas pour autant qu’elle doive suivre aveuglément les conseils de sa professeur de mathématiques ni se plier sans renâcler au mode de vie de Libero.
Parmi les ingrédients qui font de ce film une réussite, on ne peut s’empêcher de mettre ses interprètes en exergue et, tout particulièrement, Sara Serraiocco qui joue le rôle de Giulia, et Michele Riondino, celui de Libero. De la première, qui jouait le rôle de Rita, une jeune aveugle, dans Salvo, de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, nous avions estimé qu’il était difficile de porter un jugement sur son jeu, vu le caractère très artificiel de ce que les réalisateurs lui avaient demandé de faire. Avec "L’affranchie", on peut se lancer : c’est une excellente comédienne qui traduit parfaitement toute la détermination et toutes les hésitations que son rôle lui impose. Quant à Michele Riondino, il a en particulier tourné avec Marco Bellochio dans "La belle endormie" et il est très convaincant dans son rôle de jeune homme mi voyou, mi charmeur.
Une fois de plus, le cinéma italien prouve, avec "L’affranchie", qu’il est loin d’avoir rendu son dernier souffle. En effet, ce premier long métrage de Marco Danieli arrive à combiner de façon convaincante une partie documentaire au sein de la communauté des témoins de Jéhovah, la naissance d’une histoire d’amour et le passage à une vie d’adulte libre d’une jeune fille dont le mode de vie avait été, jusque là, dicté par sa communauté et ses parents. On n’a donc pas été surpris d’apprendre que Marco Danieli a obtenu, il y a très peu de temps, le David di Donatello (le César italien) du meilleur réalisateur débutant.