Le pompier, c’est un sujet qui parle à tout le monde, le pompier, c’est celui qui te prend la main au moment où tu as le plus besoin qu’on te prenne la main. Le dernier film de Pierre Jolivet, même si on lui concéder quelques petits défauts, ne peut laisser absolument personne indifférent. Filmé au plus près des évènements, dans des conditions probablement difficiles techniquement, caméra à l’épaule quand il le faut, il est d’une intensité totale. Il dure 90mn, ce qui est assez court, mais on en sort plus ou moins lessivé car les scènes de tension (physique et/ou émotionnelles) se succèdent. Evidemment, elles sont entrecoupées de moments plus calmes, de scènes plus légères, parfois émaillées de jolis moments de tendresse ou d’humour (de l’humour de caserne, qui n’est pas l’humour le plus fin du monde !) mais ces scènes ne sont finalement que des respirations pour mieux appréhender ce qui va arriver lorsque le bip bipera de nouveau. Les scènes d’action, notamment les scènes d’incendie et particulièrement la scène du feu de broussailles sont assez saisissantes pour qui n’a (heureusement) jamais eu à côtoyer les flammes de trop près. Pas de vrais temps morts, donc, mais des respirations qui permettent de souffler entre deux scènes fortes, voire très fortes émotionnellement
(la pire à mes yeux étant la scène de la robe de mariée).
Réalisation efficace, montage nerveux, Jolivet offre un film dense et équilibré, émaillé ça et là de scènes qui s’impriment dans la mémoire du spectateur. Il a aussi les faveurs d’un casting de premier plan, avec Emilie Dequenne et Rochdy Zem en tête d’affiche (dans tous les sens du terme) qui composent la jeune femme déterminée et volontaire et le vieux sage, marqué dans sa chair par ce métier qu’il a dans la peau, là aussi dans tous les sens du terme. Deux personnages pas très originaux sur le fond mais avec deux comédiens de ce calibre, ça fonctionne pleinement. Et puis, une belle brochette de seconds rôles bien écrits, épatants, tenus par des acteurs moins connus mais très investis dans leur rôle comme Michaël Abitboul et Guillaume Labbé. J’imagine que pour un acteur comme pour une actrice, incarner un pompier c’est un rêve de gamin, et l’ensemble du casting est totalement crédible, très vite on à l’impression de voir un documentaire et non un film de fiction, ce qui y est, dans le cas présent, très bon signe. Le scénario des « Hommes du Feu » se présente au final comme un sorte de catalogue des faits d’armes des pompiers,
entre les AVP, les incendies en milieu rural, les incendies en milieu urbain (avec les agressions), les suicides, les drames familiaux, les interventions heureuses aussi parfois (l’accouchement dans le camion). Seul le terrorisme n’est pas évoqué, sauf dans les 3 dernières minutes du film, la boucle est bouclée, on a fait le tour !
Ce petit catalogue est la colonne vertébrale du film mais si le scénario ne s’était contenté que d’énumérer les interventions, le film de Jolivet aurait furieusement ressemblé aux reportages « sur le terrain » qu’on peut voir le soir sur les chaines de la TNT et ça aurait été, du coup, d’un intérêt assez limité. Le film essaie de balayer aussi tous les autres aspects de la vie du pompier de base : les restrictions budgétaires, la vie familiale qui souffre, la difficile intégration des femmes au sein des brigades, et encore plus pour les femmes gradées, les enquêtes internes sur les erreurs qui peuvent sembler pénalisantes, injustes, mais qui, au final, finissent par servir d’exemple pour l’avenir. Le pompier va partout, dans les villages reculés où sévissent les pyromanes, dans les banlieues où l’on brûle les voitures, dans les squats où les médecins ne vont pas : ils défoncent les portes, secourent les blessés, découvrent les morts, ils côtoient tout le spectre de la société humaine française. Quelle autre profession peut se targuer de connaitre aussi bien l’être humain qu’un pompier ? Alors c’est sur, avec un sujet comme celui là, Pierre Jolivet jouait sur du velours. Du coup, il a parfois laissé un peu la facilité diriger sa plume, à l’image d’une affiche, d’un titre et surtout d’un sous-titre très bateau : « Leurs combats, nos vie », waouh, quelle audace ! Et puis le scénario semble parfois lui aussi céder un peu à la paresse :
la naissance côtoie la mort d’un enfant pile le même jour, les jeunes pyromanes ont des motivations assez claires et presque prévisibles, parfois le personnage de Philippe enfile quelques perles sur le métier, etc…
Dans le souci de faire un film très accessible et très « concernant », Jolivet se débarrasse d’une complexité et d’une profondeur psychologique qui aurait pu apporter encore plus à son film, à le rendre encore plus percutant, encore plus fort. Mais franchement, ce ne sont que des petits péchés véniels au regard d’un film réussi, où il est impossible de s’ennuyer, devant lequel il est impossible aussi de ne pas être émue/bouleversée/effrayée/révoltée. Et c’est à regret que, lorsque le générique survient, on abandonne Philippe, Bénédicte, Xavier et les autres, sur le point de commencer une nouvelle mission au milieu des flammes.