Après « Spinal Tap » et « Garçon Choc pour Nana Chic », Rob Reiner s’engage dans l’adaptation d’une nouvelle de Stephen King. Loin de la marque fantastique et sinistre où nous avons l’habitude de le rencontrer, son récit parvient néanmoins à émouvoir sur d’autres aspects plus poignants et plus universels. Il exploite un portrait social des années 60, où les enfants sont livrés à eux-mêmes. Ils sont également confrontés à des concepts inconnus ou ambigus qu’une vie a à proposer. Tout n’est pas saint, vert ou joyeux, mais il suffira de quelques pensées pour remonter le temps, là où sont nées les valeurs du deuil et de l’amitié.
Sans réelle supervision parentale, quatre amis errent dans les rues et dans la nature. Mais ces jeunes garçons souffrent et sont victimes d’une condition morale propre à chacun. Tous possèdent une part d’ombre liée à leur éducation et l’influence de leur parent. Gordie Lachance (Wil Wheaton) ambitionne un avenir dans la littérature comme écrivain, mais reste dans l’ombre de son frère aîné, décédé trop tôt pour qu’il puisse affirmer son identité dans sa famille. Chris Chambers (River Phoenix) est victime d’une réputation le contraignant à fuir ses racines. Teddy Duchamp (Corey Feldman) est bercé par l’influence amère de la Seconde Guerre mondiale et par son père, parti en héros, revenu en ivrogne. Quant à Vern Tessio (Jerry O’Connell), il constitue tout l’archétype du souffre-douleur d’une communauté. Il est toujours dernier, le moins favorisé par son physique ou sa force mentale. Ce groupe d’amis vont ainsi entreprendre un périple de deux jours, les invitant à se questionner et à évoluer lors d’un tribunal moral qu’ils tenteront de comprendre dans l’état où ils sont délaissés.
L’obsession pour la mort est tout à fait banalisée dans le cinéma fictif, où les clichés œuvrent à déstructurer la narration. La quête pour le cadavre d’un autre garçon, à savoir Ray Brower, devient alors une mission légitime pour ces enfants qui rêvent de maturité et qui cherchent à se défaire de cette cage folle qui les ronge un à un. Les confronter à la mort même laisse ainsi parler les émotions les plus sincères et les plus touchantes. Chacun y découvre le revers de leur peur ou de leur peine. C’est alors qu’ils peuvent ainsi prétendre à ce qu’il convoite et à ce qui leur était interdit, à savoir l’émancipation. Ils saisissent ce droit avec courage et sagesse, en passant par des épreuves d’innocence et de naïveté cohérentes à leur jeune âge et leur environnement ouvert. Et en y plaçant un brin d’expérience autobiographique, King voulait justement faire émerger les émotions associées à cette montée en puissance. Provenant d’un milieu non favorisé, comme ces garçons, ils parviennent à transmettre le savoir et la mise en scène intense et poétique de Reiner se charge du reste.
Ainsi, « Stand By Me » est catalysé par l’enfance, qui justifie une amitié non pas perdue, non pas oubliée, mais abandonnée dans la nostalgie. C’est sans compter les paroles et la partition de Ben E. King pour appuyer ce voyage initiatique très pertinent et convaincant. Nous épargnons volontiers les défauts de justesse chez les interprètes qui se révèlent attachants. Face à l’hostilité d’un monde et ses nombreuses vérités, l’expédition pour le deuil d’un groupe d’amis devient le vestige d’un plaisir partagé afin qu’ils renouent avec le passé.