Pour leur premier long-métrage, Modi Barry et Cédric Ido ont choisi de s'intéresser au quartier de Château d’Eau à Paris, près de la gare de l'Est. "Modi et moi sommes d’origine africaine. C’est un quartier que nous fréquentons depuis toujours et qui fait partie de notre mythologie. Pas seulement la nôtre, d’ailleurs. Ces quelques rues autour de la station de métro ont vu naître des genres musicaux, des danses, des modes vestimentaires… Toute une culture au retentissement énorme y est née, diffusée en Afrique et dans le monde par la diaspora. En général, c’est une chose que les Parisiens ignorent", explique le second, le premier poursuivant : "C’est sans doute le dernier quartier vraiment populaire du centre de Paris. Bien entendu, il a aussi ses aspects sombres. Mais en choisissant l’angle de la comédie c’est son côté solaire que nous voulions mettre en valeur, sans céder au misérabilisme, comme la vitalité des gens du quartier nous y invitait. Nous voulions capter la créativité et l’énergie débordante qui caractérisent ce petit bout de la capitale."
Le film s’ouvre sur une chanson de Joséphine Baker, "Paris… Paris". Il s'agit d'un clin d’oeil à Touki Bouki, un film de Djibril Diop Manbety datant de 1973, dans lequel un jeune couple de marginaux sénégalais écoute en boucle les premières mesures de cette chanson en rêvant de Paris. Cédric Ido confie au sujet des habitants de ce quartier particulier :
"La plupart des mecs sont sans-papiers, ils sont venus avec un rêve : améliorer leur situation et celle de leurs proches. Evidemment la plupart restent bredouilles mais cela ne les empêche pas de continuer à cultiver l’illusion de la réussite, parfois par l’exhibition de signes extérieurs de richesse comme les vêtements de marque ou les montres… Ils continuent de vivre leur « Paris rêvé » en dépit des désillusions et des circonstances. C’est de cette attitude que jaillit la poésie particulière du quartier."
Côté références visuelles, Modi Barry et Cédric Ido citent les films de gangsters japonais des années 1970, en particulier ceux de Kinji Fukasaku, qui comportent peu de plans et de nombreux zooms. "Comme les caractères des personnages sont un peu forcés, un style très sobre au filmage nous semblait convenir. Ça nous permettait de contrôler un peu plus les couleurs et d’avoir une image un peu BD. On pensait notamment aux planches de Jano, dessinateur de Kebra chope les boules qui paraissait dans Métal Hurlant dans les années 80 et qui mariait ce côté chronique de la vie quotidienne avec une forte caractérisation des personnages", précise Barry.
Frère de l'un des cinéastes, Jacky Ido (The White Masaï, Inglorious Bastards, Taxi Brooklyn) incarne Charles, son premier rôle principal dans un long-métrage français. Modi Barry se rappelle : "C’est Joseph Denize notre co-scénariste qui m’a présenté Jacky, il y a une quinzaine d’année. A l’époque, il ne jurait que par le cinéma expérimental – Jonas Mekas, Jean Epstein, etc. – et par le slam. Maintenant qu’il habite Los Angeles et qu’il joue dans des films de Tarantino, Claude Lelouch ou Luc Besson, on s’est dit qu’il était devenu raisonnable !"
Modi Barry et Cédric Ido ont cherché à faire une comédie et non un film réaliste. C'est ce qui a aidé les réalisateurs à gagner la confiance des gens du quartier. Ils se souviennent : "Au début ils se méfiaient énormément car il y a eu des antécédents – des reportages, des caméras cachées – qu’ils n’ont pas du tout appréciés. Cela nous a permis de gagner la confiance des gens, ce qui était une grosse partie du travail pour un tournage en immersion. Un aspect auquel nous étions attachés était que les gens du quartier puissent se reconnaître dans le film sans se sentir trahis, ridiculisés ou caricaturés. Notre objectif était que le film leur plaise et leur parle."